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Channel: Le sommelier fou
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Le courrier du lecteur (1)

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Source: Pinterest
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Depuis l’ouverture du nouveau site web, j’ai reçu quelques messages de félicitations, de chaudières de bêtises, mais aussi de questions de lecteurs néophytes qui cherchent à mieux comprendre le vin. Une fois de temps en temps, je vais m’arrêter pour répondre à quelques-unes d’entre elles. Si vous ou votre belle-mère avez des questions sur le vin at large ou quelque chose de particulier, vous pouvez passer ici, dans ma page de contact, et me demander ce que vous voulez, ou presque.

Martine, de Shannon, nous écrit…

Cher SommFou, chaque fois que je bois du vin italien ici, j’ai mal à la tête. Par contre, quand je le bois en Italie, j’ai moins mal à la tête. Mon chum, qui connaît tout, me dit que c’est à cause des sulfites dans le vin… Avant de l’envoyer chier, peux-tu me dire s’il a raison? Merci!

Source: businessinsider.com

Source: businessinsider.com

SOMMFOU: Merci pour votre courriel. Les sulfites sont irrémédiablement présents dans n’importe quel vin que vous allez boire. En effet, la fermentation crée, comme sous-produit, des sulfites. De plus, dans le cas de la grande majorité des vins , on va ajouter des sulfites pour aider le vin à se préserver, à durer dans le temps. Les quantités vont varier d’un vin à l’autre, selon qu’il a plus ou moins besoin de stabilité: par exemple, les vins liquoreux (ou doux), ont besoin d’une dose plus élevée de sulfites ajoutés, sans quoi il repartiraient en fermentation dans le temps qu’il faut pour le dire.

Alors, bien qu’il soit possible que le vin que vous buvez en Italie contienne moins de sulfites, parce qu’il n’a pas eu à voyager jusqu’ici, il est peu probable qu’il soit le cause de vos maux de tête. Non, à en lire la tournure de votre message, j’aurais plutôt tendance à croire que votre migraine vient plutôt de la personne avec qui vous partagez le vin, plutôt que du breuvage lui-même. En effet, il n’existe aucune corrélation claire entre le vin sulfité et l’apparition de symptômes de migraine. Cependant, partager un vin avec un Ti-Jos Connaissant qui n’arrête jamais d’épandre sa culture, ça t’écoeure un cortex sur un méchant temps, sans compter que le vin sera moins apprécié, de surcroît.

Bref, un voyage avec votre chum en Italie saurait prouver que le véritable problème n’est pas dans le breuvage. Peut-être aussi qu’une lettre au courrier du coeur est de mise… Est-ce que Solange Harvey est toujours vivante?

Benoît, d’Outremont, nous écrit…

Je n’ai pas l’habitude d’écrire sur des petits blogues, mais cette question, franchement, me tarabuste… J’ai acheté un vin conventionnel (par accident, je ne bois que des trucs purs et natures, voyez-vous), et l’on mentionne sur l’étiquette qu’il peut contenir des traces de poisson. Je me demandais ce qu’il en était et, comme c’est un vin rouge, si je ne pourrais pas quand même le servir avec de la ouananiche.

Dans l’attente de blahblahblah…

Source: lemouching.com

Source: lemouching.com

SOMMFOU: D’abord, Benoît, merci d’avoir daigné salir vos doigts pour mon site web. J’apprécie votre question, parce que de tous les trucs qui sont dans les vins que vous appelez conventionnels (non sans raison), la présence de poisson est probablement l’une des plus bénignes, à moins d’être bien sûr allergique aux poissons et aux fruits de mer.

La colle de poisson, appelée isinglass en anglais, est une protéine que l’on obtient à partir de la vessie du poisson. En fait, c’est du collagène, ça vous dit quelque chose? Elle a une capacité de collage des particules fines qui permet une filtration subtile du vin sans lui enlever ses arômes et flaveurs que vous aimez tant. Maintenant, la colle de poisson est généralement réservée pour les vins blancs et rosés, mais il n’est pas impossible de l’utiliser pour les rouges.

Ceci dit, avant de le servir avec votre ouananiche demandez-vous: est-ce que ce vin rouge est très tannique? Les tannins ne se comportent pas bien avec le poisson, surtout si c’est un poisson gras. Généralement, l’effet en bouche est l’équivalent d’avoir sucé une poignée de monnaie: un goût métallique persistent et désagréable envahit le palais et ne laisse aucune place au bon goût de votre vin, ou de votre poisson. C’est à éviter. Cependant, si les tannins de votre vin rouge sont fins, cela peut parfois marcher. Dans ce cas, votre ouananiche pourrait dormir en paix. Merde, vous pourriez même servir votre vin avec de la goberge, Benoît.

Gaétan, de Tewksbury, nous écrit…

heille j’ai goûter à se vinlà il sentait la vaginite entout cas bye

Source: rhodesbread.com

Source: rhodesbread.com

SOMMFOU: merci Gaétan pour votre commentaire. Vous semblez faire référence aux arômes levuriens que certains vins laissent émaner, Il m’apparaît clair qu’en termes de levure, vous avez déjà accumulé un bagage de mementos olfactifs et ce dans une multitude d’endroits. Mais laissons ces considérations derrière pour nous concentrer sur les levures.

Chaque levure utilisée dans la fermentation d’un vin aura son influence propre, c’est-à-dire qu’elle ne produira pas les mêmes caractéristiques organoleptiques qu’une autre. D’abord et avant tout, le boulot d’une levure est de convertir le sucre du jus de raisin en alcool, mais elle produit par le fait même une multitude de sous-produits, des congénères, qui chacun à sa façon influencera les arômes et le goût du vin.

C’est ainsi qu’on distinguera deux types de levures: les levures sélectionnées et les levures indigènes. Nombre de vins sur le marché sont fermentés avec des levures sélectionnées, c’est-à-dire que le producteur choisit les levures qui entreront dans le moût pour effectuer la fermentation. Le plus souvent de type saccharomyces cerevisiae (Guylaine pour les intimes), ces levures feront le même boulot, d’un vin à l’autre, assurant ainsi une constance dans le style, mais au risque de gommer l’effet terroir d’un vin.

Quant aux levures indigènes, ce sont celles qui sont naturellement présentes sur les lieux de la fermentation. Il y en a sur toutes les surfaces, dans l’air, par terre, etc. Y en a en masse pour partir la fermentation sans la provoquer. L’avantage de cette approche est la création d’arômes et de saveurs uniques, tout en conservant, dans une certaine mesure, l’impression de terroir qu’un vin peut donner: en effet, on peut arguer qu’une levure qui provient du domaine lui-même est représentative de son terroir. Par contre, ce ne sont pas toutes les levures présentes dans l’air ambiant qui sont bénéfiques pour un vin. En trop grandes doses, les levures de la famille brettanomyces, pourtant aptes à donner d’excellentes bières, causent du tort au vin, lui donnant des arômes d’étable, voire de fumier.

Maintenant, pour ce qui est du vin dont vous parliez, peut-être quelqu’un dans le chai souffrait-il d’une infection à levure? Petit truc simple, dans ce cas: il faut se laver avec une mixture d’eau et de farine de blé. En un rien de temps, le chai embaumera comme une boulangerie.

swordfou

Envoyez-moi vos questions, en passant par la page de contact que voici.


Petit guide pour bien crosser le buveur québécois

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lzqny

Bon, puisque la roue semble tourner de manière inlassable et toujours revenir sur les mêmes âneries d’une fois à l’autre, j’ai décidé de faire en sorte que tous puissent bénéficier d’une série de petites informations qui, seules, ne valent pas grand chose, mais qui une fois raboutées peuvent vous valoir un pactole pas inintéressant… Si l’on part de la prémisse que le Québécois moyen est malheureux et râleur, et qu’on le soumet à une série d’interventions, encore une fois, anodines les unes par rapport aux autres, il est possible de lui soutirer un paquet d’argent sans problème.

Il faut cependant respecter la séquence, car sinon, vos espoirs de vous mettre riche en un rien de temps s’envoleront. Êtes-vous prêts?

ÉTAPE 1: LUI FAIRE LIRE PIERRE COUTURE

Ceci n’est pas Pierre Couture. Source: lactualite.com

Pierre Couture est journaliste spécialisé en affaires économiques au Journal de Québec. On soupçonne que, quand il est passé de la Presse à ce quotidien du groupe Québécor Média, on lui a donné le mandat de surveiller les agissements de la SAQ. Ce qu’il fait, en bon soldat, mais d’une manière qui, franchement, manque beaucoup de rigueur. Dans un papier paru l’an dernier, Couture accusait la SAQ de vendre de la piquette, servant des arguments mal vérifiés quant au taux d’acidité et de sulfites de certains vins, taux qui étaient loin d’être alarmants; son papier avait été démonté par une multitude de journalistes et chroniqueurs, dont moi.

Il a ensuite écrit, entre autres, sur une récente hausse des prix de certains vins en SAQ, dans un texte somme toute étonnamment objectif mais truffé d’omissions. La SAQ se réserve, onze fois par année, le droit de réviser ses prix, à la hausse ou à la baisse, et cette information est toujours disponible et transparente, pour qui veut la trouver. Le buveur québécois moyen, lui, s’en câlisse: lui, ce qu’il veut savoir, c’est que la SAQ le fourre bel et bien, et qu’on paie donc moins cher à la LCBO (constat fallacieux que Couture a aussi commis récemment dans un article).

Donc, il est TRÈS important de faire lire des demi-vérités au buveur québécois moyen avant de passer à l’étape suivante. Il n’est pas nécessaire de lire Couture. Il existe bien d’autres sources du type on-paie-ça-avec-nos-taxes qui vous fourniront les mêmes billevesées.

Source: lapresse.ca
Source: lapresse.ca

ÉTAPE 2: NOLISEZ UN AUTOBUS

Il est primordial de vous donner un élan, en réservant un autobus direction Ottawa, plus précisément la LCBO sur Rideau, et de le remplir de consommateurs outrés de payer « si cher » pour quelque chose qui n’est absolument pas une denrée essentielle. Vous devez absolument capitaliser sur cette hargne artificielle, gonflée par des présomptions démontrées à travers un jeu de miroirs déformants.

Le buveur québécois moyen n’y verra que du feu: il oubliera, momentanément, le 50$ que vous lui avez demandé pour une place dans le bus, et se dira qu’il a fait un bonne affaire en venant acheter son Wolf Blass et son Apothic Red chez les voisins ontariens. Il aura la temporaire satisfaction d’avoir crossé le système, jusqu’à ce que quelqu’un lui fasse remarquer qu’il aurait payé moins cher ici, et prenant compte des coûts de déplacement…

Quand il aura dégrisé, par contre, il ne sera pas content. Il en voudra à ceux qui l’ont convaincu de faire cet achat impulsif et franchement pas win-win. C’est alors qu’il vous faudra sortir un argument d’autorité…

ÉTAPE 3: L’ÉCONOMISTE DE POCHE

Vous avez perdu des plumes avec votre autobus, alors il faut agir vite: L’économiste de poche ne demande qu’à vous rendre service. Dans le milieu, c’est bien connu, quand on demande à un économiste combien font deux et deux, il te répond « Ça dépend… Combien veux-tu que ça fasse? » Alors vous n’avez qu’à lui demander de faire la démonstration que la SAQ nous entube, et il se fera un plaisir de se mettre au boulot, en comparant les prix de trente-cinq vins vendus au Québec et en Belgique, deux régions qui n’ont rien à voir l’une avec l’autre sinon leur amour pour les frites.

Source: lapresse.ca
Source: lapresse.ca

La Belgique n’est pas même en situation monopolistique, c’est dire… Mais ça n’est pas important pour le buveur québécois moyen. Tout ce qu’il lui faut, c’est la conviction que merde!, il se fait encore avoir à tour de bras et qu’il serait donc mieux en Belgique, quoi. Si le tout est bardé de diplômes reconnus en économie, ben là, il ne vous restera plus qu’à appliquer l’étape ultime pour bien crosser le buveur québécois…

Source: journaldemontreal.com
Source: journaldemontreal.com

ÉTAPE 4: LE HARPON

Vous vous rappelez Winecious? Moi oui. La compagnie faisait miroiter la possibilité d’acheter du vin, sans passer par la SAQ, et ce vin était livré directement à votre porte. L’affaire a foiré pas à peu près. Les règles sur le commerce de l’alcool au Québec peuvent se résumer ainsi: toute vente d’alcool DOIT passer par la SAQ. On n’y échappe pas. C’est clair, c’est noir sur blanc. Alors quand une compagnie vient s’installer ici et prétend qu’elle n’avait pas bien interprété les règles en vigueur, vous avez parfaitement le droit de douter de leur bonne foi.

Source: earth2mother.wordpress.com

Source: earth2mother.wordpress.com

Mais le buveur québécois moyen va douter d’abord et avant tout de la SAQ, parce que vos préliminaires l’y ont mené, frôlant l’extase au passage. Alors, quand vous lui offrirez de se procurer du vin directement de vignerons à l’internationale (même l’Australie, par exemple) et que vous lui direz que la SAQ ne pourra rien y faire, il sera trop content. Il va embarquer. Alors vous le mettrez en contact avec ces vignobles de production confidentielle, et ils feront l’opération ensemble, sans que votre nom ne paraisse sur aucune facture ou aucun devis de transaction. Après, quand vous aurez amassé suffisamment de commandes pour remplir un conteneur, vous ferez venir ledit vin jusqu’ici, vin qui sera bien sûr bloqué à la douane. Mais c’est pas vous le coupable, c’est la méchante SAQ. Le client, lui, ira payer les droits de douane et la majoration inévitable que la SAQ prend sur ses produits. Le client voudra être remboursé, mais vers qui pourra-t-il se tourner? Vous? Bien sûr que non, car vous n’apparaissez nulle part dans la transaction, vous avez bien pris soin de l’éviter. Au vignoble? Il est bien trop petit pour assurer le retour de tout ce vin chez lui. Alors le vin restera jammé à la douane.

Mais vous? Comment en aurez-vous profité? Par une belle campagne de sociofinancement. Vous aurez préalablement pitché votre idée de contourner la SAQ, et vous aurez demandé des fonds pour partir votre entreprise. Personne ne peut être contre la vertu, donc on vous encouragera. Ceci dit, cet argent sera bien à l’abri, car vous ne pourrez vraiment être blâmé pour l’échec de l’entreprise. Ça sera encore la faute à la crisse de SAQ. Voilà, quelques milliers de dollars empochés pour zéro service, ou si peu, ne serait-ce que le futile et momentané rêve d’avoir damé le pion au monopole d’État, le méchant monopôle.

Dis donc, buveur québécois… T’as déjà pensé à l’importation privée?

swordfou

Biodynam, Inc. –Éducation et perception

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Source: www4.ncsu.edu
Source: www4.ncsu.edu

Partout dans le monde, avec la grandissante inquiétude vis-à-vis les changements climatiques, des dispositions sont prises par les gens qui ont une conscience environnementale pour contrecarrer les effets dévastateurs de l’industrialisation. Selon Prowein, entre 2004 et 2011, la surface de vigne traitée de façon biologique ou biodynamique a triplé, passant de 88 000 hectares à 256 000 hectares en un très court laps de temps. De plus en plus de consommateurs se disent consciencieux dans leurs achats. Prowein estime que la proportion de consommateurs de vin conscientisés à l’écologie chez les moins de 30 ans est passée de 14% à 23% en une seule année, selon un sondage effectué lors des deux derniers salons.

L’échantillon de ce sondage provient à grande majorité d’Allemagne, un pays reconnu pour son intérêt marqué envers les vins bio. Ailleurs dans le monde, il y a aussi croissance, mais le pourcentage de consommateurs de vin qui sont écologiquement conscientisés dépasse rarement les 15%, du moins en ce qui a trait au vin. Comment se fait-il alors que seulement un consommateur sur six (et pas plus d’un sur quatre) s’intéresse au vin bio? Quels sont les enjeux qui font que de tels vins n’ont toujours pas la belle part du marché? Dans une série d’articles sur la question, je tenterai de démystifier cet état de choses en abordant trois angles : éducation et perception, règlementation et confusion, mysticisme et initiation.

C’EST PAS BIO EN PARTANT, LE VIN???

Beaucoup de gens font une séparation drastique entre le vin industriel et le vin bio, sans pour autant catégoriser correctement ce qui devrait se trouver dans une enveloppe et dans l’autre. Tout le monde connaît un gros joueur comme Gallo, sans pour autant savoir que celui-ci produit une grande partie de ses vins dans des usines de vinification géantes, assimilables à des raffineries; en effet, une ballade dans la vallée Centrale de la Californie suffit pour voir à quel point le vin peut être produit en méga-masse. Il est dit qu’à lui seul, Gallo produit plus de vin que l’Australie entière.

Par contre, ces mêmes compagnies jouissent aussi d’un budget marketing faramineux et sont capables de projeter un écran de fumée et bâtir une image illusoire de leur produit : le paysan au chapeau de paille, qui prend un soin monastique de chaque vigne, de chaque raisin; la table champêtre au milieu des rangs, les sourires, les saucissons, les pâtes. Comment pourrait-on faire un vin à l’échelle humaine sans qu’il ne soit bio?

Source: winery-sage.com
Source: winery-sage.com

L’image bâtie à coups de trompe-l’œil par les grandes vineries de ce monde nuit à la véritable culture biologique. Par contre, il est aussi illusoire de croire que la culture biologique est nécessairement à petite échelle. On n’a qu’à penser à Viña Emiliana, au Chili, qui cultive près de mille hectares à la fois en culture biologique et biodynamique. Parés Baltà, en Catalogne, est en constante croissance et choisit de faire pousser sa vigne selon les édits de Rudolf Steiner. Michel Chapoutier possède la plus grande surface de vigne de France cultivée de façon biodynamique. Ces domaines, du moins en termes de superficie, sont grands et sont donc soumis à la cruelle équation de l’économie d’échelle. En ayant à l’esprit le côté strict des réglementations bio, et l’approche philosophique encore plus contraignante de la biodynamie, il apparaît très clairement d’entrée de jeu que de faire du vin bio et biodynamique coûtera plus cher.

Or, la perception du consommateur (rappelons-nous que plus ou moins 80% des consommateurs ne se considèrent pas consciencieux du point de vue environnemental) est difficilement conciliable avec un prix plus élevé. Le buveur écolo, selon une étude menée en Australie par la Academy of Wine Business, serait près à verser 4,99$ de plus pour une bouteille de 12,50$ si elle est bio, alors que cette augmentation chute drastiquement à vingt-cinq cents sur la même bouteille, pour le reste des consommateurs.

La raison est solidement ancrée dans la perception et, surtout, l’ignorance de ce qui constitue un vin bio ou un vin biodynamique. De plus, la pléthore de certifications différentes de par le monde n’aide en rien la sensibilisation à ce type de vin et encourage plutôt le confinement dans l’ignorance. Pourquoi payer davantage pour un vin biologique? Pour l’étiquette qui le certifie bio? La certification (et l’utilisation de cette certification dans l’image de marque) vient avec un prix.

Source: agnotis.eu
Source: agnotis.eu

Pis que cela, l’attrait, quoique toujours marginal, vient lui aussi avec une prime à payer, la preuve en est cette étude australienne citée plus haut. Alors, que nous faut-il établir comme priorité pour permettre au vin bio de se tailler une plus grand part de marché? Couper dans les coûts? On commence où? par la certification? Elle a ses avantages et ses inconvénients. L’inconvénient est que la facture de la certification retombe inévitablement sur l’ardoise du consommateur. D’ailleurs, nombre de viticulteurs bio et biodynamiques voient d’un mauvais oeil ces systèmes de certification, et jugent qu’il reviendrait plutôt aux producteurs conventionnels de payer pour montrer patte blanche. On aura donc sur le marché des vins bio qui ne sont pas identifiés de la sorte, parce qu’ils ne souscrivent pas à un système de certification.

On coupe sur la main-d’oeuvre alors? C’est le choix de certains. Rares sont les certifications qui ont en leurs critères des dispositions pour le traitement éthique des travailleurs. À cet égard, les lois sont les seules protectrices du travailleur, et encore: s’il se trouve à être un immigrant fraîchement débarqué, ignorant des règles en vigueur au pays, ou s’il se trouve en Afrique du Sud, noir, au beau milieu d’un pays où l’apartheid fait encore quelques rots de temps à autre, son salaire risque d’en être salement affecté, et le producteur peut ainsi réduire ses coûts de production bio drastiquement.

Source: wine-searcher.com
Source: wine-searcher.com

En fait, en termes de traitement éthique des travailleurs, le mouvement de la viticulture durable (sustainable viticulture en anglais) va plus loin. Bien que souvent centré sur les pratiques bio, le mouvement durable n’y est pas contraint et son approche est beaucoup plus globalisante sur le plan social et économique.

Bon, un autre truc, vous dites-vous? Et je n’ai même pas pris le temps de vous expliquer les différences entre viticulture bio et biodynamique! Vous êtes perdus, hein? Cela fait partie de ma démonstration. Dans le prochain article sur le sujet, je tâcherai de faire la lumière sur ce qui m’apparaît être la principale source de confusion dans le monde du bio. Restez à l’écoute.

swordfou

« Gentil », ce Hugel (re-post in memoriam)

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Source: blog.diana-hr.com
Source: blog.diana-hr.com

Quand les nouvelles s’ébruitent sur les Internettes, ça peut aller vite. Celle de la disparition d’Étienne Hugel n’a pas fait exception. Au Québec, la famille du vin n’a pas tardé à exprimer sa stupéfaction devant une mort si soudaine. Elle frappe d’autant plus que la vitalité du personnage reste en nous, à forces de souvenirs et de caudalies, pendant longtemps après l’avoir rencontré. Une semaine plus tard, on sent encore les neurones vibrer sous l’hématome, la douleur subite, qui résonne. Le pire, c’est le silence, celui d’un homme libre qui a dirigé sa destinée comme il l’entendait, jusqu’à la toute fin.

J’ai eu cette chance en 2013. J’ai pu absorber toute l’énergie contagieuse de cet homme au sens de l’humour vif et tranchant, au sourire permanent accroché au visage, à la passion à fleur de peau. Un homme fier de défendre génération après génération de vins d’Alsace, de porter le flambeau du terroir, de se battre pour l’idée d’une Alsace authentique qui ne plie pas au joug du sucre résiduel global et facile.

Je republie ici, presque dans son intégralité, le texte que j’avais écrit à l’époque. Tout, pour ce que j’en garde, est verbatim. Merci, Étienne, d’avoir été une lumière sur ce monde. Je réfère ici à la chute de mon texte d’antan. Orhon et vous aviez bien trop raison. Au revoir, et au plaisir de réentendre votre rire si communicatif.

Il est intéressant de s’attarder au caractère identitaire des vins d’Alsace quand on les place en parallèle avec l’histoire de la région; d’une guerre à l’autre, l’Alsace s’est retrouvée tantôt française, tantôt allemande, et peu de familles ont vécu ces changements de main plus intensément que la famille Hugel. Si le sujet vous intéresse, je ne saurais suffisamment vous conseiller la lecture du livre « La guerre et le vin », par Don et Petie Kladstrup; le bouquin fait le tour de l’influence de la Seconde Guerre mondiale (et surtout des Nazis) sur l’industrie française du vin. Les témoignages de quelques grandes familles du vin s’y trouvent, entrecroisés, émouvants, inspirants, et mettent en lumière jusqu’à quel point le vin est partie intégrante de l’identité française.

Pour ceux qui, comme moi, n’ont jamais eu à se battre pour la liberté, et n’ont pas non plus de famille qui a participé directement à l’effort de guerre, pas plus au front qu’à la maison, il est très difficile de concevoir qu’on se relève d’une telle épreuve, qu’il nous reste ne serait-ce qu’une once d’énergie pour vivre, ou à tout le moins vivre comme si.

Puis après, on rencontre Étienne Hugel, et on comprend qu’on n’y a rien compris.

Non, Étienne n’a pas fait la guerre. Trop jeune pour cela. Mais il est membre de l’une des familles vinicoles les plus prestigieuses d’Alsace, de France, voire d’Europe (Hugel fait partie des Primum Familiae Vini), une famille qui a vécu de près la Seconde Guerre mondiale, voyant ses jeunes garçons forcés à s’enrôler non pas pour la France, mais pour l’Allemagne, qui avait alors repris le territoire alsacien. Étienne, on le présume, a reçu les histoires de ses ancêtres et en a retiré une appréciation unique pour la vie et sa fragilité, une joie de vivre contagieuse.

Pour faire court, le bonhomme est, comme on dit par chez nous, drôle comme un singe. Il parle de ses vins et de tout avec un humour qui a peu d’équivalents dans cet univers trop souvent guindé, coincé, pris du syndrome du dix-cents-dans-la-craque-de-fesse. Il met la table pour une dégustation analytique (un peu) conviviale (beaucoup). Est-ce que cela fait mieux paraître les vins? Possible, mais ce n’est pas comme s’ils avaient besoin de ce coup de main. Et comme si ce n’était pas assez, ajouter Jacques Orhon à l’équation (les deux hommes sont comme cul et chemise) et vous avez toute une rigolade sur les bras.

Source: wein-pic.de
Source: wein-pic.de
Étienne et son épouse Koaru
Source: tonyaspler.com
Étienne et son épouse Koaru Source: tonyaspler.com

Étienne Hugel insiste, quand il parle des vins blancs de la maison, pour dire qu’ils ne sont pas tombés dans le piège du sucre résiduel, comme tant d’autres domaines de sa région; il ne nomme personne, mais on sent chez lui ce reproche de vouloir satisfaire la dent sucrée, cet abandon par ses pairs de l’intégrité du vin. Il est indubitable que, sur ce plan, les vins de Hugel se démarquent; précis, fins, frais et fort satisfaisants. S’ils partagent avec l’Allemagne une parenté de cépages, les vins de Hugel sont incontestablement alsaciens, en ce qu’ils sont un porte-étendard de cette région riche en variété.

[…]

Je n’avais, personnellement, qu’une seule question à poser à Monsieur Hugel à l’occasion de notre rencontre, et je n’ai même pas eu l’occasion de le faire, car il est allé à mes devants: pourquoi le jaune pétant des étiquettes? Personnellement, je ne suis pas un fan, et je dois admettre que la bouteille, telle quelle, ne m’attire pas; heureusement que je sais ce qui se trouve à l’intérieur, parce que sinon… 

Or il se trouve qu’une belle anecdote explique ce choix de marketing, et que l’histoire remonte à la période entre les deux Grandes Guerres. Je ne la relaterai pas ici, je ne ferais pas honneur au talent de raconteur d’Étienne Hugel; si jamais vous le rencontrez, demandez-lui de vous la raconter. Tout ce que je dirai, c’est qu’elle implique le vol d’une étude, d’un coeur, et les potages Magie. Nos amis français comprendront cette dernière référence.

Ce que je retiens de cette dégustation? Les excellents vins de sélection de grains nobles qui nous ont été suggérés, un riesling et un gewürz, le très bon riesling Jubilee, de facture classique et capable de beaucoup de chemin, ainsi que les deux pinot noirs, dont le splendide les Neveux, empreint de cette marque particulière des rouges alsaciens, frais, près de la terre.

Je retiens aussi la vitalité d’Étienne Hugel, sa bonne humeur contagieuse et son ouverture. Je retiens aussi les mots de Jacques Orhon, alors qu’il en était à se bidonner avec son ami de longue date: « il y a tellement de gens éteints ».

Que oui.

Source: thedrinksbusiness.com
Source: thedrinksbusiness.com
swordfou

Mégaloenomanie

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Robert Mondavi
Source: latimes.com
Robert Mondavi Source: latimes.com

Les empires, il va sans dire, ne se bâtissent pas à coups d’humilité. Pour atteindre les sommets d’un domaine, il faut avoir l’ego de ses ambitions. Le monde du vin pullule de noms de personnes qui sont devenus part entière de l’image de marque. Mondavi, Torres, Leroy, Rothschild, Courville (non, ça, sérieux, c’est une joke)… Tous autant de noms qui marquent toujours l’imaginaire des amateurs de vin de par le monde. Si, au départ, l’intention de donner son nom à sa compagnie est de lui conférer un esprit familial, de petite échelle, il vient un moment où la croissance fait que ce choix devient problématique, associé à un appétit corporatif, et que le nom se désincarne de la personne même, créant une entité parallèle plus grande que la personne elle-même. Viennent aussi de malencontreuses occasions où l’on peut en venir à perdre son nom: me vient à l’esprit le triste épisode de la famille Etchart qui a vendu son immense domaine familial à une grosse corporation, perdant ainsi à jamais le droit de se servir de son propre nom dans de futurs projets…

Cette semaine, je me penche sur trois grands noms du vin, et sur la part d’ego qui leur a fallu mettre de l’avant pour placer leurs vins sur les tablettes mondiales… Trois personnes fort différentes, chacune marquée par un trait de caractère fort différent, mais qui au bout du compte ont réussi à se tailler une place immense sur la scène vinicole mondiale. Conclusion? Ambition, insécurité et humilité peuvent toutes mener au succès…

MICHEL CHAPOUTIER, PLUS GRAND QUE GRAND

Le personnage de Michel Chapoutier ne laisse personne indifférent, et s’il existe un exemple vivant de ce qu’un peu de mégalomanie peut contribuer au succès d’une entreprise, Chapoutier l’incarne parfaitement. En un peu plus de vingt ans, il a fait de l’entreprise de son père Max l’un des noms les plus reconnus dans tout le monde viticole. L’homme vit à trois cents à l’heure, vraisemblablement sans trop de souci d’autrui: il a littéralement tassé sa famille lors de sa prise de contrôle du vignoble.

Maintenant installé aux quatre coins du globe, Michel Chapoutier a permis à une entreprise qui battait de l’aile de devenir l’un des principaux joueurs rhodaniens sur la scène globale. Il est aussi allé placé ses pions dans d’autres terroirs: l’Australie, le Portugal, l’Alsace, le Beaujolais, la Champagne… Chapoutier possède la plus grande surface de vigne de France cultivée en biodynamie. Et si cela implique des coûts faramineux, Chapoutier sait où faire les économies. Là où l’harmonie écosystémique de la biodynamie a ses faiblesses, c’est dans la gestion du capital humain. Chapoutier a su trouver les moyens de ses ambitions et les employer, donnant ainsi des vins qui portent sa signature autant que celle des terroirs qu’il exploite.

Michel Chapoutier
Source: avis-vin.lefigaro.fr
Michel Chapoutier Source: avis-vin.lefigaro.fr

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Ici à gauche se trouvent quelques vins de Chapoutier qu’il m’a été donné de déguster récemment, dans sa nouvelle demeure de Montréal. L’homme était absent, occupé à vendanger les raisins de ses cuvées australiennes, je n’ai pas eu la chance de lui poser les questions que j’avais sur la biodynamie à grande échelle. C’est à charge de revanche, j’ose espérer.

Alain Brumont
Source: ladepeche.fr
Alain Brumont Source: ladepeche.fr

ALAIN BRUMONT, TOUJOURS DAVANTAGE

On m’avait préparé psychologiquement au caractère égocentré d’Alain Brumont. Or, ça ne fut pas mon expérience personnelle. Certes, l’homme parle abondamment de ses succès, de ses projets, de ses ambitions, au point où l’on finit par se demander s’il respire tellement il parle. Or, cette diarrhée verbale est symptomatique de quelque chose qui, une fois qu’on l’a identifié, est difficile à ne pus voir: l’insécurité. Tel un Charles Foster Kane, Brumont s’est bâti un empire, et maintenant qu’il est au sommet, il peine à entendre l’écho de sa propre voix. Cela a de quoi faire angoisser quiconque. Pour moi, Brumont n’est pas egocentrique ou mégalomane. C’est un homme au départ humble qui, n’arrivant plus à mesurer son succès, n’a plus que sa croissance pour l’évaluer, alors il innove, constamment, sans repos. Son nom, devenu logo, montre un « M » plus grand que les autres lettres, installé en porte-à-faux, ancré, vissé, dominant. Ceci dit, son importance pour le rayonnement du sud-ouest de la France à l’échelle mondiale est indéniable, et l’homme est habité d’une passion qui sert bien ses vins.

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Des collègues ne pouvant assister à la dégustation qui a eu lieu à l’Europea m’ont demandé de revenir leur porter nouvelles des vins de Brumont: sont-ils toujours aussi surboisés qu’avant? Pour ceux-ci, j’ai été porteur d’un certain espoir: le bois est toujours là, certes, difficile de l’ignorer, mais le dosage semble avoir été ramené à des proportions raisonnables, du moins est-ce l’impression que m’ont laissée les cuvées les plus jeunes qui ont été dégustées pour l’occasion. Mais je laisse mes notes, que vous trouverez ici à droite, vous convaincre de la chose.

ANSELMO MENDES, HUMBLE FORCE DE LA NATURE

Cette fois, l’appréhension était mienne et mienne seule. Après avoir parcouru en long et en large le site web d’Anselmo Mendes, en préparation de ma visite dans le Vinho Verde, j’étais resté avec le pressentiment que l’on aurait droit à un personnage très imbu de lui-même; après tout, sa face est sur toutes les satanées pages de son site. J’en avais même fait part à une collègue qui était elle aussi du voyage, afin qu’elle garde l’oeil et qu’elle me fasse part de ses impressions.

Or, il n’en fut rien. Si le projet vinicole d’Anselmo Mendes est ambitieux (il se tourne d’ailleurs maintenant vers les Açores), l’homme qui est à sa tête est l’humilité incarnée. Nul doute qu’il a confiance en ses moyens en tant que viticulteur, mais ce n’est pas ce qu’il propose lorsqu’on le rencontre. Plutôt, il met son insatiable curiosité de l’avant et nous invite à réfléchir avec lui. Ses multiples cuvées d’alvarinho, issues de terroir et de méthodes différentes, expriment son amour et sa fierté pour sa région et ce qui en provient.

Anselmo Mendes
Source: revistadevinhos.pt
Anselmo Mendes Source: revistadevinhos.pt

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Comme vous le verrez dans les notes de dégustation que voici, Anselmo Mendes fait la part belle aux cépages autochtones de son Vinho Verde adoré, à la recherche du mariage entre le cépage et son sol, à la recherche du cru. Ici, l’homme est au service du vin, il met tout son talent à la disposition de ce que le nectar a de possible. Ici, c’est l’humilité qui est gage de succès.

Et, force est d’admettre: l’humilité, ça se goûte.

swordfou

Les variations Vinho Verde – Entrer dans la modernité à son propre rythme

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Le temps, au nord du Portugal, est une suggestion. On a même l’impression que le soleil choisit de se lever quand bon lui semble, ou qu’il décide de percer l’horizon au chant inquiet des oiseaux habitués de clamer son arrivée. La brume, pendant ce temps, caresse les pergolas encore nues d’un hiver doux, où la neige fait figure de légende. Il arrive qu’on en annonce parfois à la météo, mais comme ailleurs, les chaînes météo vendent maintenant des voitures et du savon à lessive, alors peut-on se fier à elles?

Du bâtiment principal à Quinta de Raza, on peut embrasser du regard une demie-douzaine de villages avoisinants. De l’un d’eux, ce matin-là s’élevait une musique un peu mélancolique, un fado qui incitait à conserver ce rythme, ou cette absence de rythme. On nous explique qu’à divers moments de l’année, des saints sont fêtés dans un village et dans l’autre, et que la musique provient alors de différents endroits dans la vallée. Notre visite du vignoble prendra une longue pause sur cette esplanade, à écouter cette musique fantomatique et à prendre des clichés des derniers fonds de brume à s’envoler vers le ciel.

Source: sommfou.com
Source: sommfou.com

À mesure que l’on fait son chemin d’un village à l’autre, on remarque que nombre d’habitations ont leurs propres vignes, et que toutes sont taillées en pergolas (vinha de enforcao), un système qui fait se rejoindre les tiges au-dessus du sol, formant un dôme lorsque le feuillage s’élance. Si ce système a lieu d’être joli, d’être esthétiquement plaisant, il n’est pas pratique compte tenu des conditions météo de la région, propice aux précipitations: 1200 millimètres de pluie s’abattent sur la région chaque année. Ainsi, la vigne en pergola retient davantage d’eau dans son feuillage, s’exposant à la moisissure, à l’oïdium et au mildiou.

Si, dans quelques rarissimes domaines, vous trouverez encore un maigre hectare ou deux de vigne ainsi taillée, le reste de l’appellation, par souci économique, s’est converti à des tailles plus modernes, mieux adaptées à la réalité climatique de la région. À commencer par ce cordon simple de bois tendu en une direction, duquel se hisseront des tiges, comme autant de voiles prêtes à accueillir le soleil et non pas le vent. De ces pousses proviendront feuillage et grappes pour la saison qui vient. Le feuillage, essentiel à la photosynthèse, sera encore abondant, mais son positionnement fera en sorte qu’il sera davantage protégé contre l’accumulation de pluie que ne peut l’être une pergola. Sans dire que les problèmes de moisissure pourront ainsi être évités, ils sont grandement réduits de par l’utilisation de cette méthode. De plus, cette méthode de taille permet une meilleure exposition des raisins au soleil, leur permettant ainsi de mûrir de façon optimale plus rapidement. Bien sûr, un effeuillage judicieux au moment opportun sera encore nécessaire, mais le chose, tout de même, est rendue possible par cette taille. En anglais, cette taille est appelée « vertical shoot positioning »; c’est le système le plus en vogue dans les pays du Nouveau Monde, et il gagne du terrain dans le berceau de la vigne.

Touriga Nacional taillé en cordon simple, Quinta da Lixa
Source: sommfou.com
Touriga Nacional taillé en cordon simple, Quinta da Lixa Source: sommfou.com

Le Vinho Verde étant un appellation relativement fraîche, à l’hiver plus froid que la moyenne des régions européennes, c’est aussi pourquoi l’on privilégie la taille en cordon. Le bois, bien plus que la canne, est en mesure d’accumuler les glucides pour survivre aux mois hivernaux froids et lents. Également, la vigne est en mesure de connaître un meilleur départ au printemps, si elle n’a pas à se soucier de fabriquer ses propres glucides trop rapidement. Cette méthode, spécifique aux climats frais, s’applique très bien dans le Vinho Verde pluvieux.

Ça et là, d’autres systèmes sont utilisés, plus rares, tous aussi adaptés les uns que les autres aux conditions pluvieuses: taille en lyre, en double rideau de Genève… Le Vinho Verde s’inspire des succès modernes en termes de viticulture pour amener son produit national à bon port. Mais c’est là le seul sacrifice que les plus raisonnables d’entre eux feront. Là où certains oublieront davantage de sucre résiduel qu’il n’en faut, là où d’autres ajouteront subrepticement du sauvignon blanc au mélange, la vaste majorité du vignoble de la région est restée fidèle aux cépages indigènes de la région, ceux-là même qui ont fait la réputation de ce vin vert, de ce vin perlant, plein d’énergie et de vitalité. C’est de plein gré que le Vinho Verde a choisi les méthodes de taille de vigne  modernes, mais, à l’exception de ces Aveleda-çi et de ces Gazela-là, l’appellation est demeurée fidèle à ces cépages, cherchant même à les faire briller davantage, en trouvant le sol parfaitement adapté à chacun, en espérant trouver le médium d’expression optimal pour chacun.

Nous garderons le survol de ces divers cépages pour un autre article, si vous le voulez bien, et nous respecterons ainsi le rythme portugais, où rien ne presse et tout mérite d’être absorbé et vécu. Alors que le soleil se couche sur les vignes de la région, un coq chante, plus trop certain s’il a manqué le lever de ce matin, ou s’il est d’avance pour celui du lendemain. Peu importe, il chante, car le temps, pour lui aussi de toute évidence, est une suggestion.

swordfou

Merci au CVRVV pour avoir organisé ce voyage de presse dans la région du Vinho Verde.

Biodynam, Inc. – Règlementation et confusion

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Il y a quelques semaines, j’ai abordé le complexe sujet du vin bio et biodynamique et de sa place encore marginale sur le marché mondial, et ce malgré un accroissement de la conscientisation planétaire aux problèmes environnementaux et de santé. J’ai tenté de démontrer que le problème était dans la confusion autour du genre et dans l’ignorance (souvent confortable) du consommateur quant à ce qui constitue un vin bio ou biodynamique. Dans l’article d’aujourd’hui, je vais mettre en lumière, le plus clairement possible dans cet espace restreint, les divers corps de réglementation qui existent pour la fabrication du vin bio et biodynamique, et mettre en lumière la flagrante évidence: c’est cette même diversité qui mène à la confusion. En d’autres mots: en acceptant de se certifier, le vin bio (et biody) s’est tiré dans le pied.

FORCE DE LOI OU PAS?

D’abord, il faut comprendre que certains pays, ou certaines unions de pays comme l’Union Européenne, ont légiféré sur la question du bio et établi des normes minimales de production pour ce type de vin. Première source de confusion: ces lois ne sont pas les mêmes d’un pays à l’autre. Explorons simplement la pointe de cet iceberg en comparant une disposition précise de la loi américaine sur le vin bio à son équivalence en Europe: l’ajout de sulfites.

Aux États-Unis, est considéré comme vin bio tout vin dont les raisins ont été cultivés de façon biologique (sans intrants chimiques ou synthétiques), dont le jus n’a pas été traité chimiquement et, chose importante, dans lequel aucun sulfite n’a été ajouté. On ne fait pas autrement: si vous voulez vendre votre produit aux États-Unis, et que vous voulez mettre sur votre étiquette que c’est un vin bio, vous ne pouvez y ajouter de sulfites.

Source: coastalliving.com
Source: coastalliving.com
(sources diverses)
(sources diverses)

Autrement, vous n’aurez droit qu’à la mention « vin fait à partir de raisins biologiques ». C’est pourquoi des vins, considérés bio en Europe (où l’on tolère des doses modérées de sulfites dans le vin), seront ré-étiquetés comme provenant de raisins bio sur le marché américain. Vin bio ici, Pas vin bio ailleurs, vous me suivez? Parfait, parce que je m’apprête à échapper le paquet de cartes une autre fois…

VOUS CHERCHEZ UNE CERTIFICATION? ON L’A!

À cette parade de réglementations quasi-complémentaires et parfois contradictoires s’ajoute la pléthore de certifications différentes sur le marché bio. Chaque région du globe, ou presque, peut compter sur une entité englobante, et certaines sous-régions à même ces délimitations ont leur propre système de certification. Si, pour les initiés du milieu et les vignerons, il est plus facile de s’y retrouver, pour le consommateur, aucune chance.

Comment le consommateur peut-il savoir, à première vue, en quoi consistent les exigences d’ECOCERT, de Demeter, de Biodyvin? De plus, comment distingue-t-il le produit élaboré selon les préceptes bio ou biodynamiques de celui élaboré dans une perspective durable? Car nous avons ici un autre système de pensée, presque parfaitement centré sur la culture bio, mais avec des portes de sortie, une approche plus englobante qui considère les aspects sociaux et économiques comme partie intégrante du calcul. Tant est tellement qu’un pays comme le Chili, sec au possible et où on a toutes les raisons environnementales de faire du bio, se tourne tranquillement vers l’agriculture durable. Pourquoi? Parce que compte tenu des coûts de production accrus en bio, il est plus économiquement viable de faire les choses de façon durable. Autrement dit, il y a une plus grosse piastre à faire en durable qu’en bio.

Personne n’est contre la vertu. Tout le monde, dans des mesures diverses, comprend l’importance d’une agriculture qui utilise un minimum d’intrants chimiques ou synthétiques. Mais c’est l’importance même de cette mesure qui nous fait flipper du côté bio ou pas, et pour cela, l’éducation est nécessaire. La compréhension des enjeux visés par chacune des certifications, si tant est qu’il soit nécessaire d’en avoir autant, passe par l’information rendue aisément accessible aux consommateurs.

Tel qu’énoncé dans l’article précédent, les viticulteurs qui croient à la certification vous diront que le pouvoir réel de changer les choses réside dans le nombre, et que c’est par l’association sous une certification qu’ils choisissent de s’afficher nombreux. D’autres diront, non sans raison, qu’il revient plutôt aux viticulteurs conventionnels de s’afficher et de payer pour utiliser des produits de synthèse. Quoiqu’il en soit, la pluralité des viticulteurs qui choisissent de se certifier est à toutes fins utiles égale, du moins dans l’oeil de l’acheteur, à la pluralité des certifications elles-mêmes. Impossible de s’y retrouver sans avoir lu, en long et en large, sur ce que chacune de ces certifications représente. Ce mouvement de masse vers le bio aura créé une masse de mouvances qui, plutôt que de se montrer précises, offrent en tout et partout un flou artistique où la paresse intellectuelle ne veut pas se lancer.

PASSER À L’OUEST

Lors de mon récent passage dans le Vinho Verde, j’ai pu rencontrer l’énigmatique Vasco Croft, du domaine Aphros, un vignoble biodynamique aux vins envoûtants. Alors qu’il nous faisait visiter son domaine, le sujet de la certification a été abordé. Pendant longtemps associé à Demeter, Croft s’est dit fatigué de l’approche vide que cette certification lui offrait: « on propose peu d’assistance, la communication est difficile et on n’y trouve pas son compte. Demeter, c’est en fait davantage une marque qu’une certification ». Et Demeter ne s’en cache pas non plus sur son site Web, ni dans les cabrioles juridiques qu’elle à l’occasion faites pour protéger ladite marque. Depuis peu, Croft a entamé le processus pour joindre Biodyvin, un autre mouvement qui certifie les vignerons biodynamiques. Surtout logée en France, cette certification tente de s’étendre sur l’Europe tranquillement.

Vasco Croft, Aphros
Source: losvinosdemalena.com
Vasco Croft, Aphros Source: losvinosdemalena.com

Avec Biodyvin, on a davantage un regroupement de vignerons qui échangent, partagent sur leurs pratiques. L’aspect certification comme tel est chapeauté par un tiers parti: Ecocert. Et oui, une certification qui en certifie une autre. Pas plus simple que lors du premier article, n’est-ce pas?  Et ça ne va pas aller en s’améliorant: lors du dernier article de cette série de trois, je mettrai en évidence les factions qui existent entre vignerons bio et biodynamiques et comment, alors que l’on serait en droit de s’attendre à une certaine communion, ou à tout le moins à une certaine harmonie philosophique, on retrouve bien souvent désaccord, dissidence, schisme. Et comme le schisme appelle à la multiplication des philosophies, cela n’est rien pour aider le consommateur à s’y retrouver.

swordfou

La croisée des chemins

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« Vous êtes vraiment un homme unique, David, et je dis ça avec les meilleures sentiments. Je ne crois pas qu’il y ait une école qui puisse contenir votre potentiel. » La phrase, si flatteuse soit-elle, est tombée comme une roche au fond de mon coeur. Après sept années de dévouement à cette école que j’aime tant, années pendant lesquelles cette idée d’écrire sur le vin m’est venue, je me vois forcé de quitter, pour des raisons budgétaires. Ça pince. J’ai investi de nombreux efforts dans cette école. Mis en scène trois pièces de théâtre. Géré les relations avec le dystopien Ministère de l’Éducation. Écrit un thème musical pour la batailles des maisons (oui, comme dans Harry Potter, on a des maisons). Ah, pis j’ai enseigné aussi.

Mais voilà, je me retrouve à la proverbiale croisée des chemins, là où la montée de ma carrière dans le monde du vin rencontre l’interruption inattendue et abrupte de ma carrière dans l’enseignement au secondaire.

(À partir d’ici, les blogueurs français ont quitté. Ils se disent « mais pourquoi? ». Ils détestent les articles qui sont trop personnels. Ils aiment ça plus désincarné. Si c’est votre cas, vous pouvez quitter aussi. Cette semaine, j’ai besoin d’introspection.)

Source: gifsoup.com

Après un peu plus de cinq ans à la barre de cette tribune, je suis arrivé à cette fourche dans la route, comme diraient les anglicistes, cet endroit où il faut s’arrêter, chercher le panneau indicateur, sans succès, puis se dire: « ok, où va-t-on maintenant? » Le choix est déchirant: laquelle de ces routes nous amènent à notre destinée? Et lorsque le choix est fait, quel souffle viendra parcourir notre coeur, sera-ce un relent de regret ou la chaleur bienveillante de la conviction? Laquelle de ces trente-deux portes mène à la destinée rêvée? Quel impact ce choix aura-t-il sur nous et sur ceux que nous aimons?

Vous vous imaginez bien que, depuis un certain temps, je jongle devant ces portes, à me demander laquelle d’entre elles ouvrir et traverser. Pas faux. En vérité, à ma fidèle habitude, j’ai davantage réfléchi au processus qu’au geste lui-même. La chose qu’on oublie trop souvent, c’est que le choix est un geste. On se commet dans le choix. L’erreur que l’on fait par rapport à ce choix est de le croire irréparable. Qui n’a pas passé des minutes à regarder quelqu’un téter devant lequel des desserts choisir dans le présentoir? Quand je fais l’épicerie avec Madame Fou, et que je la regarde lire étiquette après étiquette pour trouver lequel de ces produits fort similaires sera l’idéal, il me prend de lui rappeler que nous ne sommes pas en train de choisir le prochain chef du PQ.

On croit à tort que le choix est un geste fataliste. Or, en tant qu’humains, nous sommes entraînés à faire des choix à chaque seconde, et par dizaines. La machine humaine est ainsi faite afin qu’elle puisse avoir une multitude d’occasions de remédier à l’irréparable. Elle peut faire choix par-dessus choix. Et c’est ainsi qu’elle évite l’inévitable.

Bref, pour faire simple, que l’on soit destiné à quelque chose est passif. Il n’y a aucune garantie que l’on accomplisse cette destinée. Car sa confirmation passe par l’accomplissement. Si je suis destiné à me rediriger vers le vin pour gagner ma vie,  il me revient de décider comment cela se concrétisera.

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Source: hackettsongs.com
Source: hackettsongs.com

Alors, par où, maintenant?

Comme j’en suis vraiment au stade embryonnaire de ma réflexion, les voix qui me guident sont instinctives, impliquent peu de réflexion. Il est clair que la mission que je me suis donnée avec le vin en est une éducative. Ceci dit, démystifier le vin pour les néophytes, ça peut se faire d’une multitude de façons. Mon site web y contribue déjà, mais j’aimerais aussi le faire de la manière que je connais le mieux, c’est-à-dire devant un groupe d’élèves. Avec tout le respect que je dois à mes compatriotes du monde du vin, non seulement je connais mon sujet, mais j’ai sur eux l’avantage de vingt ans en milieu pédagogique, d’être fort de stratégies éprouvées en salle de classe. Je suis à l’aise devant un groupe d’élèves et je sais les captiver.

Maintenant, est-ce que cela passe par une école déjà bien en place ou par la création d’une institution de toutes pièces? Pas évident pour une seule personne, mais il est encore tôt. Le hamster dans ma tête vient à peine de monter son rythme cardiaque.

Je veux continuer à écrire, nul doute. Ici, dans des publications, dans des livres, sur les murs… Tricoter les mots, je ne peux pas faire sans. Ça m’aligne les chakras. Ça me zénifie le pompon. Ça fait partie de moi depuis que je suis ado, et même avant, quoique dans mon enfance, c’est par le dessin que je parlais. Alors, certes, je vais continuer à vous parler du vin. Mais peut-être aussi d’autre chose, sur d’autres plateformes, dans d’autres formats.

Je vais faire tout en mon pouvoir pour continuer à écrire ici au rythme où je le fais. Mais s’il venait un moment où la chose n’était pas possible, je vous en informerai, en échange de votre clémence. Je sais que je pourrai compter sur vous.

Source: smaragdi.deviantart.com
Source: smaragdi.deviantart.com

Les choses vont sûrement commencer à bouger dans mon esprit très bientôt. Plusieurs idées mijotent, mais il faut choisir les bonnes. Je vous inviterai sans doute à vous joindre à la réflexion avant longtemps. D’ici là, si vous avez envie que je vienne chez vous parler de vin, faites-moi signe, j’ai un beau formulaire pour ça. On va jaser un peu.

La philosophie crée de ces paradoxes, parfois. Comme celui qui veut que, avant que l’on arrive à destination, l’on doive parcourir la moitié de la route, et qu’avant d’avoir parcouru la moitié de la route, il faut en parcourir la moitié, et ainsi de suite, tant et si bien que l’on ne part jamais vraiment. Mais aujourd’hui, j’ai fait un pas, et je ne me trouve pas où j’étais auparavant. Le monde est fini. L’espoir, par contre, ne souffre aucune limite.

Bon, allez, c’est pas tout ça, y a la vie qui m’attend. À plus.

swordfou

Les aiguilles et le vin

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Quand on se lance sur le chemin du diplôme WSET, on va croiser un paquet de bouteilles de vin. Il faut se mettre sur le chemin de ces vins qu’on n’aura pas d’autre occasion de goûter. Il faut solliciter ses amis et les supplier d’ouvrir ce truc qu’on a absolument besoin de goûter pour être bien préparé à la dégustation. Il faut se tirer sur toutes les verticales qui croisent notre chemin, toutes les horizontales, les diagonales, les obliques… Tous les jeux à l’anonyme, centrés sur le cépage ou la région. Toutes ces dégustations d’un domaine particulier, de leurs cuvées respectives. Il faut être partout, car au bout du compte, on n’aura jamais assez dégusté de vin pour y arriver.

Je vous jure, c’est fucking intense, le Diploma.

Mais voilà le problème: quand le vin est tiré, il faut le boire. Et dès l’instant où le liège a quitté le col, le vin meurt. Imaginez l’investissement: on doit déguster autant la piquette que le grand cru. Une fois la bouteille ouverte, on dispose tout au plus de quelques jours pour analyser, étudier le vin… Après, ça prend un autre col, sinon… Alors comment s’en tirer?

Source: blouinartinfo.com
Source: blouinartinfo.com
Source: esdmagazine.com
Source: esdmagazine.com

Ça faisait un bail que je voyais passer le Coravin sur les médias sociaux. Le premier prototype, sitôt sorti, avait reçu un prix « homme de l’année » de la RVF. La machine brassait la cage du monde du vin à peine arrivée sur les tablettes des diverses cossinneries viniques.

C’est quoi, un Coravin? C’est étrangement simple. À l’instar du iPod, c’est le genre de truc où vous dites « merde, pourquoi c’est pas moi qui y ai pensé? ». L’idée derrière le Coravin est de pouvoir accéder au vin dans une bouteille sans avoir à la déboucher. Ainsi, on insère une aiguille dans le bouchon de liège (on en parlera plus tard, mais cela ne fonctionne pas pour les bouchons en plastique ou en composite), puis on appuie sur une gachette qui pitche une dose d’argon dans la bouteille. En échange, la bouteille laisse s’écouler du vin de l’aiguille jusque dans votre verre. Quand vous retirez l’aiguille, le bouchon, pourvu d’une certaine élasticité, se referme sur lui-même, scellant de nouveau le passage sacré, tel une hostie de grosse roche dans un film d’Indiana Jones. Zéro oxygène n’a réussi à faire son chemin vers le vin durant le processus. Il est ainsi préservé et demeure intact. Vous pouvez même recoucher la bouteille dans votre cellier (le bouchon est étanche, je vous jure), elle continuera à évoluer à son rythme.

À tout le moins, c’est la prétention que Coravin a vis-à-vis son produit. Vous pensez bien que je n’allais pas laisser ces gens prétendre qu’ils venaient de réinventer l’eau chaude sans avoir rigoureusement testé le produit… N’est-ce pas? Alors j’ai demandé un Coravin pour Noël, et je l’ai obtenu. Illico, je me suis mis à faire des tests sur quelques bouteilles ciblées de ma collection, flacons de tous horizons et de toutes qualités. Pensez-y…. Si au départ l’artéfact a été créé pour que les poches profondes puissent tester leurs flacons mythiques sur le chemin de leur évolution, il devient rapidement clair à l’ esprit inventif que d’autres applications peuvent être prêtées à l’objet, comme conserver le vin utilisé pour les études du diplôme WSET, par exemple. Vous me suivez?

Et les tests, comment se sont-ils déroulés?

Plutôt bien, avec quelques observations qui mènent à des bémols. Tout d’abord, je dois dire que, dans mon cellier personnel, j’ai présentement cinq bouteilles auxquelles j’ai accédé grâce au Coravin; j’en avais six, mais je vous explique plus loin pourquoi je n’en ai plus que cinq… De plus toutes les bouteilles accumulées collectivement par mes collègues et moi pour le diplôme WSET ont été « coravinées », ce qui donne un échantillonnage assez imposant. Les bouteilles de mon cellier ont été testées une première fois fin novembre, puis une autre fois fin avril.

Première observation: le Coravin est amusant à utiliser. L’artéfact semble compliqué, mais il est simple d’utilisation et ajoute une nouvelle dimension à l’appréciation du vin. Ceci dit, impossible de faire une réelle évaluation de l’engin à court terme, autre que celle que je viens de faire.

Source: sommfou.com
Source: sommfou.com

Comme l’utilité première de ce gadget est de conserver le vin, c’est sur une utilisation à long terme que l’on peut faire de réelles observations. J’ai d’ailleurs mentionné le tout à la compagnie, quand elle m’a envoyé son sondage de satisfaction…. un mois après mon achat. Désolé, les amis, il me faudra plus de temps pour me faire une tête.

Lors du deuxième accès, j’ai pu faire deux observations:
PRIMO: les vins testés sont tous intacts après cinq mois, sauf un. Dans le lot de vins testés, j’avais pris soin de mettre un vin nature (Domaine de Villeneuve La Griffe Côtes-du-Rhône), par curiosité scientifique. Le bouchon en tant que tel convenait parfaitement à l’exercice. Lors du premier accès, le vin était vibrant et frais. Au deuxième accès, il était parti en couille. Off, un brin brûlé. Ceci dit, est-ce la faute au Coravin? L’une de mes camarades de classe, lors de l’une de nos sessions d’études, m’avait apporté un flacon de ce même vin qu’elle avait ouvert, afin d’avoir mon avis: « C’est normal qu’il goûte ça, dis? » Et non, effectivement, c’était pas normal. Le sien goûtait littéralement le bacon brûlé… Stabilité du produit? Difficile à dire.

SECUNDO: les bouchons fautifs seront à surveiller. Comme il a peu ou pas de pression dans une bouteille de vin tranquille, l’ajout d’argon fait légèrement augmenter celle-ci. D’ailleurs, les nouveaux modèles de Coravin viennent avec une jaquette que l’on met autour de la bouteille, car il est arrivé que certaines d’entre elles explosent en raison de l’augmentation de la pression dans le flacon. Bon à savoir. L’autre possibilité est celle d’un bouchon fautif: quand je suis revenu tester mon Corison Kronos 2002, le bouchon s’était évadé d’environ deux ou trois millimètres du goulot. La pression l’avait légèrement poussé vers l’extérieur. Je lui ai redonné une poussée dans l’autre sens avant d’accéder de nouveau au vin. Depuis, il n’a pas bougé de nouveau.

Malgré la contre-indication, j’ai tout de même testé le Coravin sur des bouchons synthétiques et composites, afin de voir ce qu’il en était. Évidemment, le problème ne réside pas dans l’accessibilité du vin, car l’aiguille entre parfaitement dans le bouchon. Cependant, le bouchon n’est pas assez élastique pour reprendre une forme qui fermerait l’ouverture. Le vin ne s’écoule pas, mais l’oxygène entre et fait son travail de sape. L’argon, si bienveillant qu’il soit, n’y peut rien. J’ai fait le test sur un Vieux Château d’Astros rosé 2015; après quelques jours, le vin avait beaucoup évolué. Sans être mort, il s’en allait chercher son manteau.

Et parlant d’argon, un dernier mot sur les capsules: elles sont dispendieuses, certes (entre 15 et vingt dollars canadiens), et elles fournissent environ quinze verres de vin. Mais honnêtement, à moins d’avoir une cave gargantuesque, vous ne l’utiliserez pas à tous les jours, du moins je ne le vous conseille pas. Quant à moi, qui l’utiliserai tôt ou tard à tous les jours à mesure que l’examen final approche, j’irai toujours chercher des portions de dégustation, ce qui fait que mes capsules me dureront un peu plus longtemps.

Source: coravin.com
Source: coravin.com

En terminant, est-ce que je vous conseille le Coravin? Dépend de vos attentes. Si vous avez l’intention de l’utiliser pour sa fonction première, c’est-à-dire accéder à des vins que vous voulez également garder plus longtemps, je n’ai pas assez de données pour confirmer que c’est un bon achat, mais les indices actuels pointent dans cette direction.  Mais si comme moi vous en avez besoin pour vos études, ou pour accéder fréquemment à une petite quantité de vin, je crois qu’il s’agit d’un bon investissement.

Et j’avoue que, une fois qu’on a rentré l’aiguille une première fois, y a un petit quelque chose d’accoutumant.

swordfou

Les variations Vinho Verde – Là où les raisins se tiennent serrés

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La seule chose un peu plus tristounette quand on visite des domaines vinicoles dans les premières mesures du printemps, c’est l’absence des raisins. Les vignes sont nues, un bourgeon ça et là apparait, pas de feuillage, juste une tranquillité avant que la vie ne reprenne son boulot. Ce qui est heureux avec le Vinho Verde, c’est que la région, hormis certains gros producteurs industriels, n’a pas cédé à la tentation du cépage international: bien sûr, on trouve un peu de sauvignon blanc si on sait où regarder, mais la région est restée fidèle à sa progéniture, aux raisins qui lui ont donné son identité, et si le Vinho Verde a adopté certaines techniques lus modernes au champ et au chai, ça n’est que pour permettre à ses variétés de briller davantage. Cette semaine, je vous les présente brièvement, afin que vous vous fassiez une tête sur la richesse de cette région.

ALVARINHO

On trouve davantage d’alvarinho dans le nord-ouest du Minho, là où le pays embrasse la frontière espagnole: le cépage a d’ailleurs traversé cette démarcation, se faisant appeler albariño chez les voisins du nord. Longtemps le cépage-phare des vins perlants du Vinho Verde, il demeure une partie intégrante de l’offre, tout en laissant un peu de place à ses congénères dont on parlera plus loin. L’alvarinho aime les sols secs, ce qui est un paradoxe quand on connait toute la pluie qui tombe sur la région; il faut alors un sol où le drainage est hyper-efficace.

Floral et fruité, le cépage donne de jolis agrumes avec de l’acacia et, parfois, de la bergamote. Il mûrit relativement tôt, ce qui lui permet de conserver une acidité tranchante, qui sera parfois contrebalancée par un chouia de sucre résiduel dans le vin. Selon l’endroit, l’alvarinho peut également développer des notes iodées fort séduisantes. Dans la région, le maître incontesté du cépage est Anselmo Mendes, qui a fait l’objet d’un article il y a quelques semaines.

ALVARINHO
ARINTO

ARINTO

De son nom complet arinto de bucelas, ce cépage polyvalent pousse à peu près partout dans le Vinho Verde, sauf au nord, dans la sous-région de Monção e Melgaço. Pratique, parce qu’il apporte une fraîche acidité sans compromettre le reste, offrant beaucoup de citron, de pomme et une dose de minéralité non-négligeable dans les meilleurs sites.

Bien qu’on puisse le trouver en monocépage, il est plus fréquent de voir l’arinto en trio avec le loureiro et le trajadura, dont il sera question plus loin. Sa grande capacité à maintenir une dose élevée d’acidité en fait un bon défibrilateur dans les assemblages qui seraient autrement mous.

À cet effet, l’arinto fait office de sauveur dans la très chaude région de l’Alentejo. Peu demandant en eau, il s’accommode très bien des périodes de sécheresse et parvient toujours à offrir ce qu’il a de meilleur (son acidité) malgré ces circonstances fort différentes de celles trouvées dans le Vinho Verde. Bref, un cépage méconnu, mais fort utile…

AVESSO

Au Portugal, vous entendrez de façon générale deux manières de prononcer le nom des cépages: soit le « o » final est muet, soit il est transformé en « ou »; cela n’a rien à voir avec des considérations régionales, mais plutôt avec qui l’on parle. Les Portugais entre eux iront pour la première option, puis la seconde quand ils s’adressent à des visiteurs nord-américains, pour faciliter leur compréhension du langage. C’est du moins ce qu’on m’a raconté et, ayant pu expérimenter l’accueil et l’abnégation du peuple portugais, je ne serais pas surpris que ça soit effectivement le cas.

L’avesso est certes le moins léger de tous les cépages blancs de la région. Fort en alcool, il a aussi un profil organoleptique qui lui est propre, offrant pêche, abricot, ananas, mangue. Il préfère pousser sur les sols granitiques; ça n’est donc pas surprenant de le trouver majoritairement planté autour du Douro. D’ailleurs, la zone géographique du Douro est aussi couverte en partie par celle du Vinho Verde. C’est ainsi que l’on trouvera des vins de l’appellation vinho verde qui proviendront des berges de cette rivière.

AVESSO
AZAL

AZAL

L’azal préfère l’est, particulièrement les sous-régions d’Amarante et de Basto. Cépage assez quelconque, offrant citron et pomme, avec lui aussi des taux d’acidité enviables. Il sera surtout employé en appui à des cépages qui ont moins de mordant, pour leur donner une dimension additionnelle.

Par contre, quelques domaines offrent des itérations intéressantes d’azal en monocépage. Selon la bible Wine Grapes, le principal problème de ce cépage est sa sensibilité à la pourriture, qui fait en sorte que les vignerons le vendangent trop tôt, de crainte de le perdre. Sa peau mince se prête bien à ce genre de maladie.

LOUREIRO

L’un des très beaux cépages que la région a à offrir. On le trouve principalement sur la côte portugaise, dans la région de Lima, d’où il serait d’ailleurs originaire. Il porte bien son nom (qui veut dire laurier en portugais), car il offre cette petite note herbacée qui rappelle la feuille aromatique de cet arbre. Des notes florales, souvent accompagnées de fruits à noyau dur, comme la pêche, et de notes d’agrumes, définissent ce cépage.

Dans la région de Lima, on le trouve fréquemment en monocépage, mais il fait aussi partie du trio traditionnel des assemblages de Vinho Verde, avec l’arinto et le trajadura. La maison Adega Ponte de Lima réussit particulièrement bien avec ce cépage, comme vous pourrez le voir dans le carrousel de notes de dégustation plus bas.

LOUREIRO
TRAJADURA

TRAJADURA

Sans aucun doute le cépage le plus amusant à prononcer avec l’accent portugais. Il appelle les notes les plus ténébreuses et gutturales de nos cordes vocales, laissant derrière son sillage une impression de séduction austère, comme celle dont un vampire serait capable. On le prononce dans le registre bas, pour davantage d’effet.

Comble de hasard, c’est aussi le cépage qui produit le plus bas taux d’acidité naturelle, et ce malgré son cycle de croissance relativement court. Il développera surtout des fruits blancs en termes d’arômes et de saveurs. Il viendra tempérer les ardeurs de l’arinto, tout en offrant un étage supplémentaire de saveurs aux assemblages dans lesquels il participe.

Rares sont les exemples monocépage de trajadura.

VINHÃO

Seul cépage noir présenté dans cet article, et encore, je n’en parlerai pas vraiment. Bien que ça ne soit pas le seul raisin à vin rouge qui soit exploité dans le Vinho Verde, il se distingue de façon très nette. Comment? Cela fera l’objet d’un dernier article sur la région… Faudra patienter.

À côté de ma signature, tout juste au bas, vous trouverez quelques notes de dégustation de vins que j’ai découverts lors de mon plus récent périple dans le Vinho Verde.

À bientôt!

VINHÃO
swordfou

Merci au CVRVV pour avoir organisé ce voyage de presse dans la région du Vinho Verde.

Qui l’on est

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Mathieu Deiss
Source:  Facebook
Mathieu Deiss Source: Facebook

Dans tout ce que l’on fait, dans toute entreprise qui nous occupe, l’une des clés du succès est d’y mettre du sien. Quand j’ai lancé mon petit casse-croûte de blogue en 2011, je savais que si je n’y mettais pas ma couleur propre, si je ne donnais pas à cette tribune mon identité, j’aurais eu un blogue parmi tant d’autres, convenu, fade, anonyme. Or, il se trouvait que la niche que je voulais occuper, celle de l’humour et de la vulgarisation, était étonnamment libre. Chance, j’en conviens, certes, mais j’ai su honorer cette fortune par le travail, et on connaît la suite. Je ne vous remercierai jamais assez de contribuer à cette réussite.

Mais au bout du compte, on a beau être le chouchou de la chance et mettre autant d’huile de coude qu’il y en a dans la canisse, si l’identité n’est pas là, aucune chance de faire sa marque, et ça, les Deiss le comprennent mieux que quiconque. Dans le paysage alsacien, où la notion de grand cru est mise à mal et contestée, la famille Deiss fait office de défenseur de l’identité Alsace. Je vous mets (trop) rapidement en contexte: il existe 51 parcelles de vignes en Alsace désignées comme Grand Cru. Déjà, quand on étudie la répartition géographique de ces crus, on se rend compte qu’une attention particulière et, hélas, malencontreuse a été donnée à faire en sorte que ces crus soient également distribués.

Pour résultat, plusieurs contestent le statut de certains crus, les jugeant tout au plus méritoires d’une mention de premier cru, voire carrément médiocres. De plus, certains producteurs qui possèdent une parcelle particulière d’un grand cru prétendent que celle-ci est supérieure en termes de qualité au reste dudit grand cru, et que cette parcelle mériterait en soi son propre statut reconnu, ce qui n’est toujours pas le cas. Finalement, il y a toute la notion de style, celui international qui a gagné, on peut le déplorer, l’Alsace, et que les traditionalistes ont en horreur. Fruit à peine mûr, acidité élevée, sucre résiduel volontairement laissé pour donner du volume au fruit déficient. Tout cela se passe sur les parcelles « mortelles » comme sur les grands crus, ce que déplorent les maisons qui tentent de redonner à l’Alsace ses lettres de noblesse.

Mathieu Deiss était de passage à Montréal récemment pour promouvoir les vins de sa maison, avec l’aide de ses représentants de chez A.O.C. et Cie, qui nous ont invités à sa conférence au restaurant Toqué!. Il avait ceci à dire à ce sujet: « Le terme que nous avons choisi de mettre de l’avant, c’est Alsace. Pour nous, c’est ce qui importe le plus. » Deiss ici défend l’identité de la région, sa « typicité », son terroir. La famille a choisi une voie qui prend racines dans l’histoire pré-phylloxérique de l’Alsace: celle de la complantation. Ce principe consiste à faire pousser plusieurs cépages différents, pêle-mêle, sur une même parcelle, plutôt que de les ordonner en rangs. « À l’époque, dit Deiss, on complantait simplement pour s’assurer une récolte. » De nos jours, la complantation sert plusieurs principes, mais l’un des plus intéressants reste certainement l’élimination, autant que possible, de l’effet cépage au profit de l’effet terroir. Si suffisamment de variétés de raisins se côtoient dans un champ, aucune d’entre elles ne prendra le pouvoir du goût, ce qui laissera le terroir transparaître.

Source: Domaine Marcel Deiss
Source: Domaine Marcel Deiss

Et la famille Deiss a fait de l’expression du terroir une mission qui transcende les générations. Jean-Michel, déjà éloquent quant à la proposition faite par le domaine familial, m’avait fait, il y a de cela quelques années, la démonstration de la typicité des terroirs que la famille exploite, lors du passage à Montréal de la Renaissance des Appellations. Mathieu, le fils, n’est pas moins habité par la vocation, et il sait faire preuve d’une capacité à vulgariser la notion de terroir qui est déroutante.

« Prenez ce tableau », dit-il en pointant l’oeuvre qui se trouve derrière lui. « Je pourrais vous demander d’identifier les couleurs qui s’y trouvent, ou encore d’exprimer l’émotion que vous ressentez à sa vue. Maintenant, regardez le tableau de l’autre côté de la salle et faites le même exercice dans votre tête. Pour ce qui est des couleurs, vous aurez probablement la même réponse que pour le premier tableau. Par contre, l’émotion sera différente. Tout cela réside dans l’agencement de ces mêmes couleurs et leur proportion relative. Il en va de même du terroir. »

Et toc.

Jean-Michel Deiss
Source: Domaine MARCEL DEISS
BERGHEIM
Haut Rhin Alsace
Jean-Michel Deiss Source: Domaine MARCEL DEISS BERGHEIM Haut Rhin Alsace

C’est ainsi que la famille Deiss perçoit son travail de transmission du terroir. On ne s’étonnera pas que les pratiques soient centrées autour de la biodynamie et de l’intervention minimale au chai. Le lieu-dit est présent sur chaque étiquette, pour renforcer la notion d’identité. Les Deiss veulent faire redécouvrir l’Alsace et ils y parviennent mieux que bien des associations touristiques régionales. Schoffweg, Altenberg de Bergheim, Mambourg… Chaque lampée se démarque et exprime, à sa façon, l’endroit. L’expérience est géographique, et ça n’est pas pour rien que les Deiss pratiquent aussi la dégustation géo-sensorielle, celle que l’on prêtait aux gourmets de l’époque, les tastevins qui ne humaient jamais le vin, mais le décrivaient strictement selon l’expérience en bouche.

Les descripteurs utilisés dépassaient ceux dont l’on se contente aujourd’hui. Quelle place le vin prend-il dans la bouche, et une fois qu’il est avalé., où va-t-il se poser dans la gorge. Chaque vin, chaque cépage aura son comportement à cet égard et cela, bien plus que la simple identification gustative, mène à la révélation du vin. Cela, au-delà du reste, témoigne de la qualité d’un vin: il pourra avoir le plus joli fruit du monde, mais s’il est mince, ou court, ou plat en termes d’acidité, l’appréciera-t-on autant?

Bref, la vision est claire, et on ne joue pas dans le mysticisme de la biodynamie ici: les interventions tournent autour d’un objectif commun, celui de permettre à l’Alsace de s’exprimer telle qu’elle est. Le rejet du style international, et pour la famille, il n’a aucun intérêt. Lors de la récente disparition d’Étienne Hugel, Jean-Michel Deiss a profité des réseaux sociaux pour saluer les récents efforts de la famille pour faire parler ses terroirs…

Source: Facebook Translation: Yesterday, Étienne Hugel chose the other side of the horizonas his nez country. We are all weeping him. He had chosen, a few months a go, to place terroir as the new beacon for Hugel wines. Kudos to you, the artist, and thank you for this more than symbolic gesture. We will miss Étienne on this road to renaissance...

Source: Facebook
Translation: Yesterday, Étienne Hugel chose the other side of the horizonas his nez country. We are all weeping him. He had chosen, a few months a go, to place terroir as the new beacon for Hugel wines. Kudos to you, the artist, and thank you for this more than symbolic gesture. We will miss Étienne on this road to renaissance…

Pour les Deiss, et pour ce qu’ils estiment être une poignée d’une quinzaine ou d’une vingtaine de domaines, cet engagement coule de source. Sans lui, il n’y a pas d’Alsace. Mathieu a conclu notre rencontre sur ces mots: « On peut tous faire des vins alimentaires. Ils se vendront bien, aussi. Mais auront-ils ce sceau identitaire, seront-ils la carte de visite que nous voulons laisser? Je crois au contraire, qu’il faut se donner le mal de faire des vins de qualité, ne serait-ce que pour montrer qui l’on est. »

Et retoc.

swordfou

Merci au Domaine Marcel Deiss, ainsi qu’à leurs représentants de chez A.O.C. et Cie, pour l’invitation.

Démagogie, Ltée

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Frédéric Laurin
Source: lapresse.ca
Frédéric Laurin Source: lapresse.ca

Mes excuses tout d’abord au collègue blogueur Yves Mailloux, que je respecte, et il le sait. Mais je ne pouvais pas passer sous silence le « rapport citoyen » auquel il a participé, flanqué de deux économistes. Le titre: Monopole, Inc. Je vous mets le lien direct ici, parce que si vous tentez de suivre les liens offerts par mon collègue, vous allez vous perdre dans le méandre de ses différentes plate-formes, un truc qui permet de faire gonfler artificiellement les chiffres de visite. Sans rancune, Yves, mais je tiens à ce que les gens aient un accès direct à l’info.

Sur sa page personnelle Facebook, Yves Mailloux présente le rapport en disant « avancer des arguments, c’est bien; les démontrer avec des chiffres, c’est mieux… » Or, s’il existe une catégorie de gens qui savent que l’on peut faire dire ce qu’on veut à des chiffres, c’est bien les économistes. Et dans ce rapport, vous avez droit à du deux-pour-un, et celui que je vous montre à gauche a l’air pas mal tough, alors c’est dire…

Ce « rapport citoyen » prétend étudier de façon indépendante la situation du monopole de vente d’alcool au Québec. Comme je l’ai dit précédemment, on nous assomme à coups de chiffres alambiqués pour faire une démonstration que la privatisation, totale ou partielle, une libéralisation du marché comme le veut l’euphémisme -idée à laquelle je ne suis pas totalement opposé, du reste-. serait bien plus souhaitable que la situation actuelle.

La SAQ est loin d’être un modèle parfait. Comme beaucoup de machines étatiques, elle est inutilement lourde et il est bien plus important de voir à en alléger la structure, de minimiser ses coûts d’opération bien plus qu’autre chose. Sur ce point, et ce point seulement, je rejoins le rapport. Mais c’est ici que je débarque de la ligne verte, car cet exercice en démagogie mathématique vous manque sérieusement de respect. Je souhaite aujourd’hui vous le démontrer.

À commencer par cette affirmation qui dit que la situation monopolistique limite la diversité des produits disponibles au Québec… Pardonnez mon français, mais quand j’ai lu ça, et quand j’ai lu la démonstration vaseuse qu’on en fait, le feu m’a pogné au cul. On prétend que par sa situation de monopole, la SAQ est le seul point d’entrée du vin et autres alcools au Québec. Bien qu’il soit vrai qu’aucune transaction d’alcool ne puisse se faire sans que la SAQ y voie, de dire que l’importation privée fait office de mirage pour la diversité de l’offre au Québec est complètement fou furieux. On vous dit que l’essentiel de l’importation privée au Québec passe par une soixantaine d’agences qui représentent d’abord et avant tout les producteurs auprès de la SAQ: ces deux choses sont différentes. Pour entrer sur le marché de l’importation privée au Québec, NUL BESOIN de faire des courbettes à la SAQ. Si tu es prêt à assumer le risque financier de lancer un nouveau produit sur le marché sans passer par le réseau de distribution de la SAQ, libre à toi, et c’est ainsi que plus de vingt mille produits différents sont, bon an mal an, disponibles au Québec. Nulle part ailleurs dans le monde n’existe-t-il un tel choix. Pas en France, pas en Italie, pas même chez nos voisins ontariens dont on louange tant le monopole.

De plus, on vous jette de la poudre aux yeux en faisant miroiter l’offre mirobolante de bières faite par la Belgique (il l’aime en titi, la Belgique, Laurin…), plus de mille, alors que le Québec n’offrirait que vingt-huit de celles-ci. Deux mille whiskies sont élaborés de par le monde, et « si peu » sont offerts au Québec… N’importe qui vous dira, et pas besoin d’être économiste, que de faire entrer sur le marché demain matin deux mille références différentes d’un seul et même style de produit, c’est assurer l’échec de chacun d’entre eux à percer le marché. C’est un non-sens économique que même les marchés capitalistes comprennent et acceptent.

Source: wine-searcher.com
Source: wine-searcher.com

La raison pour laquelle on évacue le phénomène de l’importation privée comme contributeur à la diversité de l’offre en vin au Québec m’échappe. Bien sûr, l’obligation d’acheter à la caisse demande de prévoir son budget de vins différemment, mais de vous faire croire, comme le rapport le fait, que la SAQ met cette barrière à l’importation privée par souci de protectionnisme est fallacieux: la SAQ récupère les mêmes montants d’argent sur un vin d’importation privée que sur un vin qu’elle vend en succursale. Elle y applique les mêmes taxes et la même majoration. Ce qu’il reste à faire pour la SAQ, elle y planchait aux dernières nouvelles avec les deux associations d’agences de représentation en vins, c’est de rendre le catalogue de l’importation privée disponible sur son site pour fins d’achat en ligne. Ainsi, les vins d’importation ne seraient toujours pas disponibles en succursales, mais pourraient être achetés via les internettes…

Source: advocate.com
Source: advocate.com

Et le rapport continue à donner dans le sophisme ou la demi-démonstration de façon délétère. Deux d’entre elles m’ont particulièrement embrasé: celle sur la baisse de diversité en région et celle sur les prix systématiquement plus bas ailleurs.

Ok. Ayoye, rien qu’y penser ça me fait mal. En page 10, un tableau débile montre le nombre de différents produits offerts dans des SAQ en milieu métropolitain et des SAQ en région. Bizarre d’affaire, on évite de parler de Québec dans le tableau… Pas trop sûr pourquoi. On pense démontrer hors de tout doute que les gens en région sont lésés: par exemple, il y aurait 900 produits de moins à la SAQ Sélection de Sept-Îles qu’il y en aurait à celle du marché Atwater à Montréal.

Ouf, qu’on m’amène un ombudsman. Savez-vous pourquoi on offre moins de produits à Sept-Îles qu’à Montréal? Parce que, viarge, il y a moins de monde à Sept-Îles qu’à Montréal. L’une des collaboratrices à ce site web habite encore plus loin que Sept-Îles à l’heure actuelle, et elle n’a pas à pâtir quand elle s’y rend pour faire des achats. Elle revient toujours avec des quilles qui font envie.

L’offre en région ne dépend que d’une chose: la capacité d’un gérant de succursale à écouler son stock, et les choix qu’il fait quant à l’inventaire qu’il offre à sa clientèle.

Mais revenons au second point, celui de la comparaison des prix. Ceux qui ont suivi ce site du temps qu’il était un blogue gossé à même un TRS-80 se souviendront que je me donnais la marde, à toutes les deux semaines, de faire un match comparatif des prix de la LCBO et ceux de la SAQ. Au début, fin finaud et baveux que j’étais, je le faisais avec le clair but de démontrer, comme mon collègue Yves et ses deux calculatrices à prostate tentent maladroitement de le faire, qu’on se faisait donc fourrer au Québec eh my my. Or, avec toute l’objectivité que je pouvais tout de même mettre dans l’exercice, j’ai démontré, sur cinq années et des centaines de produits étudiés, pas juste une convenante poignée de vingt/trente bouteilles, qu’au bout du compte, les deux monopoles s’équivalent, et que la différence réside réellement dans la courbe de majoration que l’un et l’autre utilisent.

La SAQ fait moins bien sur les vins bon marché, certes. Mais la LCBO demande beaucoup plus pour les produits de trente dollars et plus: sa ligne de majoration est plus droite, plus rigide que celle de la SAQ. La SAQ ne fait qu’appliquer de bonnes vieilles règles capitalistes qui font que tu vas demander plus cher pour ce que tu vends le plus. Offre et demande. Ben oui, vous payez 17,50$ pour le Ménage à Trois, alors qu’il se vend 11$ USD aux États-Unis (en passant, la marge n’est plus si grande, n’est-ce pas?). Savez-vous pourquoi vous le payez ce prix-là? Parce que vous l’achetez ce prix-là, clisse!

Finalement, plutôt que de parler de loi du marché, on parle d’une taxe régressive qui fait mal aux moins nantis, qui ne peuvent que se payer des vins bon marché.

Ok, Libârté Car, c’est ici que je débarque de l’autobus. J’ai enseigné pendant dix ans au privé, et je serai le premier à vous dire, en étant moi-même un produit, que l’éducation ne se monnaie pas et devrait être accessible pour tous. Alors oui, protégeons l’école publique. Pour avoir depuis les quatre dernières années bénéficié de soins de santé que je n’aurais pu me payer ailleurs – et j’ajouterais que je n’ai pas eu à me plaindre de quoi que ce soit dans tout ce pèlerinage vers la rémission -, je vous dirai aussi que l’accès gratuit aux soins de santé est primordial.

Mais le vin, autant que je l’aime et que je ne pourrais penser à ma vie sans lui, n’est pas un bien essentiel, et ne peut donc être soumis à l’accessibilité pour tous. Demeurons réalistes, merde. De laisser cet argument comme pierre angulaire, sur la page frontispice de ce rapport, c’est montrer beaucoup d’arrivisme et d’hypocrisie, deux talons d’Achille de la pensée libertarienne. Populisme, quand tu nous tiens.

Source: pinterest.com
Source: pinterest.com

Tel que quelques-uns de mes collègues le réclamaient sur les réseaux sociaux, il est peut-être temps pour des états généraux sur le commerce d’alcool au Québec, pour que tous les intervenants et les penseurs de ce domaine se fassent entendre, librement. Vous me connaissez, je n’ai jamais donné le Bon Dieu sans confession à la SAQ. La carte Inspire? Don’t get me started. Mais je crois que, dans les circonstances, se tourner vers le privé à 100% serait fatal. Fatal pour l’offre unique de produits que nous avons ici, fatal pour la richesse que cela engendre dans le milieu de la restauration, fatal pour la véritable éducation à cette extraordinaire chose qu’est le vin. Ça n’a beau être que du jus de raisin fermenté, mais ce jus contribue, depuis des siècles, à la civilisation et l’émancipation des peuples.

Alors oui, je choisis la liberté plutôt que la libârté.

swordfou

Le courrier du lecteur (2)

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Voilà que la pile s’est de nouveau épaissie, et que je dois prendre quelques instants pour répondre à vos questions, chers lecteurs. Avis aux autres qui n’auraient pas encore profité de l’occasion, j’ai un beau formulaire de contact sur mon site web, prenez le temps d’y passer pour m’envoyer vos questions et vos doutes, ou simplement pour me dire que vous m’aimez. Tsé.

Cette semaine trois sujets vont attirer notre attention… Tout d’abord, comment fait-on un accord pour un plat dans lequel deux vedettes se partagent la scène et dont les accords possibles avec le vin sont contradictoires?

Ensuite, nous nous demanderons ce qu’il faut faire pour vraiment impressionner ses convives en termes de vin. Finalement, une question concernant les huîtres; non pas celles que l’on savoure avec une sploutche de citron, mais bien celles qui, parmi, nous, ont de la difficulté à s’extérioriser, même quand elles magasinent…

Source: cmgdigital.com
Source: cmgdigital.com

Roger, du Lac Bouchette, nous écrit:

Salut, SommFou. Je vais bientôt recevoir des convives chez moi pour le surf ‘N’ turf annuel des Chevaliers de Colomb du Lac Bouchette. J’ai acheté trois boîtes de gros scampis chez Costco, et j’en ai profité pour ramasser mes steaks au même réputé endroit. Je pense qu’on aura tout un festin, mais je crois me souvenir que tu nous a dit d’éviter de servir du rouge sur des fruits de mer, surtout si le rouge est tannique, car sinon notre expérience va être gâchée. C’est la dernière chose que je veux parce que le délégué régional de La Tuque sera parmi nous (Théo). À l’aide!

Source: weber.com

Source: weber.com

SOMMFOU: Quelle question intéressante, Roger! Étant donné l’effort que vous avez mis à organiser cette soirée (le Costco le plus près du Lac Bouchette est à Chicoutimi, me fourre-je?), je considère un devoir de vous aiguiller dans la bonne direction. Faudrait quand même pas avoir l’air fou devant le grand échanson Théo, hein?

Vous avez raison quand vous dites qu’il y a une dichotomie dans votre assiette: le steak, qui demande un vin assez tannique pour jouer avec le gras, et les langoustines (les scampis), qui elles ne vont pas s’entendre avec les tannins. Cependant, et pour l’avoir vécu, il existe une solution miracle à votre dilemme et, pour l’avoir expérimenté, c’est pas mal futé.

Il vous faut deux choses: un vieux vin (qui aura des tannins fondus) et une sauce qui liera à la fois le steak et les fruits de mer. Donc, on oublie la bordelaise et la trois poivres que vous avez acheté en format piscine hors-terre au Costco. Ce qu’il vous faut, c’est une sauce à base d’ail. Lors d’une escapade gourmande à Duchesnay, j’avais opté pour le terre et mer (ça c’est le surf ‘n’ turf), et ce plat venait avec une sauce fleur d’ail et cognac. Comme vin, on m’a suggéré un crozes-hermitage de dix ans d’âge. Je suis tombé sur mon fessier, comme on dit par chez vous, et probablement ailleurs.

Je suis conscient que de trouver un vieux vin avec un avis si court, c’est un peu poche, mais consolez-vous en vous disant que vous n’aurez besoin au plus que de deux bouteilles; ça m’étonnerait que vous soyez plus que trois dans les Chevaliers de Colomb du Lac Bouchette, non?

Benoît, d’Outremont, nous écrit (encore)…

Obnubilé que j’étais par votre réponse précédente qui, dans son exactitude a eu lieu de me surprendre, j’accepte à nouveau de m’abaisser à vous écrire pour quérir conseil. J’aurai chez moi dans quelques jours des amis réunis et, comble de malheur, ils ont le palais « chimiquement formaté », comme le veut l’adage de bon aloi. Je crains fort qu’ils arrivent chez moi sans avoir lu les règles de bon usage que j’ai déjà publié sur le Web et, appelons un chat un chat, qu’il arrivent avec quelque apothique bouteille. Ma question: quel vin puis-je servir pour les impressionner?

Voyons comment vous répondrez à celle-là autrement que par Bornard ou François Morissette.

Source: aussiegolfquest.com

Source: aussiegolfquest.com

SOMMFOU: Content de voir que je vous ai manqué, Benoît. Plutôt que de vous rendre la pareille, je vais me concentrer sur votre interrogation fort méritoire. On doit à Georges Brassens d’avoir dit que le meilleur vin, c’est celui que l’on a partagé. Rien n’est plus vrai. À partir de là, vous ouvrez ce que vous voulez. Mais comme je sens chez vous une inquiétude face à l’importance des choses, des images et des objets, je vais quand même vous recommander certains trucs:

  • Vos amis, dites-vous, sont plutôt du type vin conventionnel. Il arrive souvent que ces gens, soit par habitude d’un certain goût ou par manque de connaissances sur la chose vinique, n’aiment pas s’aventurer dans les vins qu’ils ne connaissent pas. Beaucoup de gens ne sont pas curieux de nature, hélas. Ainsi, pour eux, un Bornard ou un autre vin de cet acabit pourra paraître incomplet. Ils vont apprécier votre geste, sans doute, surtout si vous leur dites combien vous avez dépensé pour la bouteille, mais ils ne l’apprécieront certes pas à la valeur du prix. Il les laissera sur leur appétit, mais ils ne seront pas déçus autant que vous, qui n’aurez pas pu les convaincre de la valeur de cette quille.
  • Et si vous osiez ouvrir l’un des flacons de vos convives? Est-ce si important d’aimer le vin que les gens amènent chez vous? Y avez-vous seulement déjà goûté? D’accord, j’admets que si votre palais est « naturellement formaté », il y a peu de chances que vous appréciez le vin que vos invités auront apporté. Mais peut-être est-ce là pour vous une occasion d’échanger sur la diversité dans le vin, non? Le vin lui-même ne devrait jamais, en somme, être l’excuse de la rencontre, mais plutôt cette réunion qui sert de justification au vin. vous n’êtes pas sans savoir que la plus belle personne du monde ne peut donner que ce qu’elle a, et de faire tourner le succès d’une soirée autour du vin que l’on choisira me démontre que, sans cela, la veillée sera bien vide.

Lucie, de Laval, nous écrit…

Bonjour , Le Sommelier Fou.

Je suis une grande timide. Pour tout dire, quand je vais appuyer « send » pour ce courriel, je vais sûrement rougir. Or, je découvre le vin et je suis friande de bons conseils. Ce qui est problématique, c’est qu’à chaque fois que je vais en SAQ, je me fais aborder par un conseiller avant même d’avoir demandé de l’aide, ça me fait figer et je m’enferme dans ma coquille pour courir vers l’autobus le plus vite possible.

À ce rythme-là, je ne suis pas près de vous rattraper en termes de connaissances. Que me suggérez-vous de faire pour parvenir à mes fins?

Excusez-moi.

Source: socialanxietyinstitute.org

Source: socialanxietyinstitute.org

SOMMFOU : Ne vous en faites pas, Lucie, ça me fait plaisir de répondre à votre interrogation. En passant, dans le vin, plus on en apprend, moins on en sait, alors pour ce qui est de mon bagage de connaissances, on repassera! Je suis moi-même un introverti et je comprends très bien votre sentiment. Sans me sauver à la course quand on m’aborde, je suis toujours plus à l’aise quand je suis celui qui met en branle l’échange. Je connais ce sentiment d’inadéquation; il m’accompagne depuis que je suis tout petit, et je commence tout juste à m’en accommoder.

Dans votre cas, je vous suggère une chose très simple. Avant de vous rendre à la SAQ de votre choix, enfilez-vous un ou deux petits contenants de courage, ces petites bouteilles qu’on appelle mignonettes dans lesquelles se trouve une menue portion de spiritueux. Éducah’tayeule va mettre ma tête à prix, mais reste que, dans l’espace de quelques minutes, ces inhibitions qui vous tarabustent se seront envolées. Ainsi, vous pourrez poser des questions à votre guise, partir de l’endroit avec une quille judicieusement choisie et, qui sait, peut-être même un ou deux numéros de téléphone.

Sinon, inscrivez-vous à un cours sur le vin; vous vous fondrez dans le groupe et amasserez des tonnes de connaissances sans avoir à poser la moindre question. S’il vous en venait toutefois une, n’hésitez pas à la poser ou, si la chose vous semble toujours insupportable, écrivez-la sur un bout de papier, pour qu’un camarade de classe la pose pour vous.

Surtout, n’oubliez pas de sourire sous ce col roulé, car le sourire ouvre toutes les portes.

swordfou

N’hésitez pas à m’écrire, en utilisant le formulaire de contact qui se trouve dans le menu de gauche. J’attends de vos nouvelles!

AOC Chaors

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SOURCE: ladepeche.fr
SOURCE: ladepeche.fr

Le Quik aux fraises… Le ketchup Heinz mauve, pour que les enfants s’amusent… Les carrières musicales de William Shatner et Leonard Nimoy… Tant de décisions marketing malencontreuses, devant lesquelles toute émotion a cédé le pas à la consternation. Tant d’orientations promo qui, à la manière d’un sudoku vide ou d’une tuerie de masse de plus aux USA, font spinner le cerveau dans le beurre, désespéré de comprendre. Le marketing, une science tellement plus exacte que l’on ne croit, ne tolère pas l’erreur. Et quand des coups fumants sont tentés, ils doivent être calculés au millimètre près, car sinon, on se retrouve devant les frit-o-poulet, et on se désole sur la vraie envergure du génie humain.

Vous est-il déjà arrivé d’imaginer la tête de la personne qui a lancé l’idée de changer le goût du Coke? Ou celle de l’inventeur du Tetris 3D? Nous avons tous eu, à un moment ou un autre de notre carrière, un nouveau collègue de travail, embauché pour « l’originalité de sa pensée », un think-outside-ze-boxiste chevronné qui vient en sauveur nous dépêtrer du statu quo, ou nous aider à rattraper un retard commercial accumulé.

Et s’il est naturel de résister au changement, c’est bien en raison de gens comme cela, qui arrivent avec des idées qui peuvent sembler d’un saugrenu consommé, des concepts orientés droit dans le mur, qui font que tous les os de notre corps veulent se briser sous l’absurde. C’est en raison de gens comme cela que l’on ressent, parfois, le désir de résister au changement.

Jérémy Arnaud est à la tête du marketing de l’Union Interprofessionnelle des vins de Cahors depuis 2006. Dans les médias, il est présenté comme l’homme du renouveau pour cette appellation mise à mal, surtout depuis que l’Argentine dame maintenant le pion de Cahors comme région-mère mondiale du malbec. On le sait, la région de Mendoza est devenue LA référence du malbec sur la scène viticole mondiale, et la région de Cahors (injustement, du reste) grappille depuis pour retrouver sa place au sommet, place qu’elle occupait historiquement. Et s’il ne fait nul doute que nombre de vignerons de la région sont satisfaits de son travail (il n’aurait pas été en poste pendant toute une décennie, après tout), tous ne sont pas nécessairement heureux des décisions qui sont prises pour promouvoir le fruit de leur labeur.

Lors d’un récent passage à Montréal, Arnaud tentait de faire valoir la nouvelle stratégie de promotion des vins de Cahors, visant à se réapproprier le nom du cépage malbec, en présentant les vins de Cahors « en complémentarité » de ceux de l’Argentine, et non comme supérieurs aux vins de la nouvelle reine en la matière. Un collègue à moi, candidement mais de façon essentielle, a posé la question qui brûlait toutes les lèvres: comment les vins de Cahors se comportent-ils vis-à-vis les Argentins en termes de ventes mondiales? Au lieu d’une réponse claire, nous avons eu droit à une performance de patinage artistique prodigieuse de la part d’Arnaud, tellement que j’avais, au fond de mon ouïe, la voix d’Alain Goldberg qui décrivait la routine: « triple boucle piquéeeeeeeooooh, il n’a fait qu’un double… » Arnaud insiste qu’on ne peut comparer les ventes de l’Argentine à celles de Cahors, parce que surface d’encépagement, parce que rendement, parce que ci, parce que ça… Je me suis tourné vers mon collègue, en lui disant: tu l’as, ta réponse…

Source: smosh.com
Source: smosh.com

Nous avons poursuivi avec une dégustation de pas moins de trente-huit différents vins de Cahors, le tout en environ quatre-vingt-dix minutes. Bon, en tant que professionnel de la dégustation, c’est un rythme de travail que nous rencontrons fréquemment, surtout en contexte de concours. Ceci dit, ici le contexte était celui de la (re)découverte, et très peu de temps était laissé à l’appréciation. D’autant plus que nous ne parlons pas ici de blancs légers, mais plutôt de vins rouges tanniques qui tachent la dent en un tourne-main. Beaucoup de matière à avaler en très peu de temps. Un faux pas, si le but était de faire apprécier les nuances entre les vins provenant des terrasses et ceux provenant du causse. Raté. Du moins, dans mon cas.

Source: 8tracks.com
Source: 8tracks.com

J’avoue bien candidement ici que j’allais me contenter d’écrire des notes de dégustation sur les vins qui m’avaient le plus intéressé et laisser cette histoire derrière, d’autant plus qu’un collègue que je respecte énormément avait été choisi comme intermédiaire entre les médias et l’interprofession de Cahors pour l’occasion. Mais est arrivée sur mes genoux cette histoire (merci Sandrine) qui m’a vraiment enquiquinée. Je vous mets le lien ici; je vous invite à regarder la vidéo, car Jérémy Arnaud y va des quelques énormités qui, si j’étais vigneron de Cahors, me rendraient un brin furax. Bien sûr, le fénelon était là depuis longtemps avant l’arrivée de Jérémy Arnaud, mais le fénelon, tout comme tout cocktail à base d’un vin -et d’un vin d’une appellation en particulier, est une mauvaise idée, pire, un constat d’abandon. C’est la même chose que de dire: voilà, nous sommes deuxièmes, et voici pourquoi. D’entendre Jérémy Arnaud dire que là est la façon de rendre le vin de Cahors « plus que jamais buvable », c’est comme dire à quelqu’un qu’il a le visage parfait pour faire de la radio.

Jérémy Arnaud a eu la générosité de défendre son approche « cocktail », à la suite d’un courriel que j’ai fait parvenir aux vignerons dont les vins ont été présentés lors de cette soirée: « Il s’agit d’abord d’un projet pédagogique. En effet, ces deux cocktails ont été élaborés par les étudiants en sommellerie au Lycée Hôtelier d’Occitanie à Toulouse, en collaboration avec un barman – formateur, Guillaume LACAZE. Objectif : relooker un apéritif local dénommé Fénelon, dont le style ne correspond plus à l’époque, désormais tournée vers des cocktails plus élégants et qualitatifs, et parfois haut de gamme. Il s’agit ensuite d’une expérience ludique, festive proposée aux habitants de Cahors, d’abord lors de la traditionnelle soirée du 1er jeudi du mois au Cahors Malbec Lounge (c’était le 2 juin) puis lors du festival Lot of Saveurs (ce sera le 2 juillet). »

Je demandais aux vignerons si de présenter un vin dans un cocktail pour en faire la promotion était un constat d’échec, ce à quoi Arnaud a répondu que ça n’était aucunement le cas.  Peut-être, mais je crois personnellement que les vins de Cahors méritent mieux. Vous pourrez juger de ma bonne foi en consultant les notes de dégustation jointes à cet article.

Source: Facebook
Source: Facebook

Mais vous pouvez aussi demander à Bertrand Gabriel Vigouroux, qui a pris les rênes de la viticulture sur le domaine fondé par son père Georges, bien connu au Québec, entre autres pour le château de Haute-Serre: « depuis le mois de juillet 2015, je ne participe à aucune opération menée par cet organisme, car je n’en partage pas (plus) la stratégie. » Il va sans dire qu’il est consterné par l’idée que les vins de Cahors soient associés (de nouveau, des décennies après le Fénelon) à un cocktail: « je m’efforce  donc de ciseler [mon vin] pour le hisser dans la cours des grands et non dans un cocktail! »

Un autre intervenant important de Cahors, qui désire garder l’anonymat, parle de la stratégie mise sur pied par l’interprofession de Cahors comme d’une « communication de faillitaire ». La plupart des autres intervenants interrogés sur la question s’entendent sur une chose: le travail effectué par Jérémy Arnaud depuis son entrée à l’Interprofession des vins de Cahors, particulièrement sur la reconnaissance de la spécificité des terroirs, est colossal; par contre, on s’explique mal comment on a pu voir cet exercice marketing des cocktails à base de Cahors, aussi local soit-il, comme un plus pour la visibilité et la réputation des vins de la région.

De la même manière que l’on s’explique mal comment un enfant, à la récréation, arrive à se couper avec un ballon. Mais bon, ça arrive.

L’événement, qui se voulait local, aura peut-être eu plus de visibilité qu’Arnaud n’en demandait. Beaucoup sur la toile, et de tous les horizons, ont questionné cette approche. Le marketing ne souffre pas les erreurs, mais Jérémy Arnaud a sûrement, dans sa poche arrière, de quoi faire oublier ce faux pas. L’homme a vu neiger, comme en témoigne son CV, qu’il m’a d’ailleurs fait parvenir (!). Merci pour cela, Monsieur Arnaud: je vous appelle dès que je veux me réorienter en blogueuse mode.

Somme toute, si Coke a survécu à l’erreur monumentale du changement de saveur, Cahors sentira peut-être à peine cette bévue relativement mineure en comparaison. L’important, dans une démarche pédagogique, c’est après tout d’apprendre.

swordfou

Biodynam, Inc. – Mysticisme et initiation

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Source: thesecretworld.com
Source: thesecretworld.com

Pour le dernier tiers de cette série d’articles sur la tranche encore marginale des vins bio et des vins biodynamiques, je veux laisser un peu plus de place à cette tranche anthroposophique de l’agriculture, afin d’en montrer quelques travers qui sont possiblement à pointer du doigt dans l’ascension indéniable, mais lente de la culture biodynamique. Déjà, j’ai employé quelques mots à coucher dehors. Anthropoquoi? Biodyqui? Eh bien, figurez-vous que, selon l’acteur auquel vous parlez pour vous expliquer ces idées, il est possible que vous n’y voyez pas plus clair…

Au-delà de cela, je vais tenter de mettre en lumière un schisme entre les deux approches agricoles, celle du bio et celle de la biodynamie, une espèce de maintien de caste, de chicane de clochers qui nuit grandement à l’épanouissement et de l’une des méthodes, et de l’autre. À l’ère des changements climatiques, j’avance que la cohabitation actuelle, la tolérance plutôt, ne sera pas suffisante pour permettre au bio de prendre le plancher sur le marché mondial.

Établissons d’entrée de jeu que si l’on doit les fondements anthroposophiques de l’agriculture à Rudolf Steiner, ce penseur autrichien né en Croatie à l’époque où elle appartenait à cet empire, il n’a pas inventé la biodynamie. Des agriculteurs se sont inspirés de ses lectures sur le sujet, où il explique que l’environnement doit être considéré comme un tout, en communion avec ce qui est sous terre et ce qui le chapeaute, c’est-à-dire l’univers infini. La rumeur veut même qu’il n’ait jamais mis les pieds dans un champ. C’est du moins ce que ses détracteurs, au cours des décennies, ont dit à son sujet pour discréditer la philosophie sur laquelle les méthodes agricoles créées pour la biodynamie sont basées.

Ainsi, et c’est là que l’une des grosses différences entre l’agriculture bio et la biodynamie réside, les pratiques au champ et dans le chai seront régulées par les cycles du zodiaque, c’est-à-dire les mouvements des astres et de la lune. De plus, au-delà des pratiques qui interdisent l’utilisation de produits de synthèse, la biodynamie a créé ses propres préparations naturelles, plus souvent qu’autrement faites de produits qui sont disponibles sur le domaine exploité.

Source: rudolfsteineerquotes.wordpress.com
Source: rudolfsteineerquotes.wordpress.com

Ces préparations, chacune portant un numéro et chacune devant passer un temps de « macération » en terre, tantôt dans une corne de boeuf, tantôt dans le crâne d’un animal domestiqué, ont des fonctions diverses et elles doivent être dynamisées, c’est-à-dire qu’elles doivent être mises en solution dans une eau à laquelle une énergie a été induite grâce à un mouvement en huit, semblable à au symbole de l’infini. Ces préparations sont ensuite aspergées sur les vignes, en quantités homéopathiques, à quelques reprises durant le cycle végétatif. Beaucoup de travail doit être consacré à l’élaboration de ces préparations, sans compter leur aspersion, à la préparation du compost, et certains aspects du travail doivent être faits durant des fenêtres précises, établies selon le calendrier biodynamique mis sur pied par Maria Thun. À l’instar de l’agriculture biologique, il en coûtera ainsi généralement plus cher de travailler la vigne que pour l’agriculture conventionnelle.

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Source: prweb.com
Source: prweb.com

Mais s’il n’en tient qu’aux disciples de la biodynamie, les comparaisons s’arrêtent là. Certains des purs et durs de l’agriculture biodynamique éprouvent et expriment un mépris certain pour l’agriculture biologique. Cela peut paraître comme un non-sens, vu l’évidente filiation entre l’un et l’autre, mais il n’en demeure pas moins que les bios sont parfois regardés de haut par les biodys. C’est dans la philosophie derrière chaque pratique que réside ce schisme: il est possible, en effet, de pratiquer une agriculture biologique défensive, qui ne recherche pas à la restauration de l’équilibre des sols et de l’environnement en général. Il est possible de fatiguer une terre bio, tandis qu’en biodynamie, qui cherche à encourager l’écosystème à retrouver son homéostasie, à développer par soi-même les mécanismes de son propre maintien.

Il est facile de voir comment un individu pourrait s’empanacher d’importance et de fierté à l’idée de tenir à bout de bras une telle mission: redonner à la terre son équilibre, sa force et sa vie. Ce qui est peut-être plus étonnant est le schisme à même les viticulteurs biodynamiques, ceux du discours plus ésotériques, et ceux du discours pragmatique.

Anecdote: lors d’un passage en Californie, j’ai visité deux domaines biodynamiques. Lors de ma visite au premier, on m’a expliqué, de façon relativement concrète l’effet de la préparation 501 sur la photosynthèse: la silice en cristaux, appliquée sur le feuillage de la vigne, donne un effet kaléidoscopique qui augmente la photosynthèse.

Lors de ma visite du second vignoble biody, je raconte cette démonstration au vigneron. Celui-ci, du tac au tac, me répond: « si ça les aide à dormir la nuit… »

Cet air de supériorité que certains vignerons biodynamiques, et parmi les plus réputés, se donnent nuit à l’image de la biodynamie en elle-même. L’hermétisme du discours pratiqué par certains des porte-drapeau de la biodynamie a, à la longue, un effet répulsif sur le consommateur. D’autres, comme Stu Smith, du vignoble Smith Madrone, dans la vallée de Napa, en Californie, vont plus loin et crient carrément au charlatanisme. Pendant quelques années, Smith a tenu un blog intitulé « Biodynamics is a hoax », où il demandait les preuves selon lesquelles biodynamie fonctionnait réellement mieux que la viticulture conventionnelle, et que les vins qui en résultaient étaient aussi systématiquement meilleurs. La demande est demeurée lettre morte, et Smith s’en est allé dans ses champs, avec sa bonbonne de Roundup, traiter ses vignes avec sa version toute personnelle de l’amour.

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Source: ayay.co.uk

Source: ayay.co.uk

Quel est l’avenir qui attend les viticultures bio et biodynamique? Difficile à dire. De plus en plus de domaines se convertissent à la biodynamie de par le monde, de même que certains pays, qui ont tout ce qu’il faut pour faire du bio se tournent vers la lutte raisonnée, vers le durable, parce que plus adapté économiquement. Les certifications se suivent, se ressemblent et se font compétition, contribuant ainsi à stimuler la division chez les agriculteurs de chacun des camps. C’est le propre des mouvements minoritaires et naissants que de se heurter au tumulte lors des années de croissance. Tout le monde veut voir les branches de l’arbre pointer vers son soleil.

Vers où cette rivière mène-t-elle? Est-ce que l’humain, à l’instar de la grenouille dans la casserole d’eau bouillante, est devenu trop engourdi à la douleur pour pouvoir se sauver? Est-ce que l’économie a déjà gagné? Le balancier de la Nature prépare-t-il déjà son retour?

En fait, le problème réside peut-être là: dans le fait que ces réponses sont pour une autre vie.

swordfou

Les variations Vinho Verde – Apocalypse Vinhão

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vinhao
Source: sommfou.com

Nous voici arrivés à la fin. Après une tablée de blancs floraux, précis et juste un tantinet perlant, l’appellation vinho verde garde son soldat ténébreux et torturé pour la fin. Le vinhão. La consonance n’est pas sans rappeler un hameau vietnamien assiégé, mais la comparaison s’arrête là.. Le vinhão est le truc le plus portugais que vous trouverez au nord de ce pays, et s’il n’en tenait qu’aux habitants de cette région tranquille et bucolique, vous n’en auriez pas une gorgée.

Le Minho, la région portugaise la plus septentrionale, est reconnue pour son célèbre et gazeux vinho verde, un vin léger, (presque toujours) blanc fait (presque toujours) de cépages indigènes, à l’acidité élevée, souvent contrebalancée par un chouia de sucre résiduel; légèrement floral, plus agrumé, à l’alcool moyen, ce breuvage est le compagnon parfait des poissons et fruits de mer fraîchement capturés.

Le marché mondial connaît déjà bien l’alvarinho en tant que porte-drapeau des vins de cette région, mais ils sont fréquemment faits d’un assemblage de loureiro, trajadura et arinto, cépages natifs de la région. Plus récemment, le Vinho Verde suggère des embouteillages monocépage de ces vins blancs au reste du monde, en utilisant presque exclusivement des variétés portugaises: en plus des raisins déjà mentionnés, notons l’azal et l’avesso, ainsi que de simples assemblages en duo de l’un ou l’autre de ces cépages.

Pour faire une histoire courte, l’appellation vinho verde joue avec son petit classique bourré de CO2, afin de lui trouver sa vraie niche sur le marché mondial, un gest sage qui nous changera des Gazelas et autres Aveledas de ce monde. Mais pour ce qui est du vin rouge, et du cépage-vedette de ces offrandes, ce raisin bourru qu’on appelle vinhão, le comportement change, et un malaise emplit l’atmosphère. Bien sûr que vous pouvez y goûter, mais vous n’aimerez pas ça. C’est trop différent; c’est pas vraiment pour vous… J’ai aussi du touriga ou du cabernet, si vous préférez… C’est un truc local, qu’on vous dira. Comme si on vous présentait le laideron de la famille. Donc, quand vous arrivez à la toute fin d’une dégustation de vinho verde blancs, il est possible qu’on vous invite à déguster ce vin rouge, mystérieux et unique en son genre, mais il se peut aussi que vous aurez à insister pour y goûter.

Vinhão...

Kurtz

Et si le producteur daigne vous le laisser essayer, portez attention à son langage corporal: vous aurez l’impression d’avoir demandé une audience avec le colonel Kurtz.

puxurzblogspotcom
Source: puxurz.blogspot.com

Selon l’endroit où il est cultivé, le vinhão monte en bourgeons et mûrit de façon relativement tardive, tout en gardant un niveau d’acidité élevé. La chair de ce raisin n’est pas rouge comme telle, mais sa peau est si épaisse qu’elle est en mesure de fournir au vin beaucoup d’anthocyanes et de pigment. Le résultat est d’un pourpre opaque, très tachant et super acide, et conséquemment le vin doit souvent porter jusqu’à neuf grammes de sucre résiduel par litre pour compenser. Les tannins sont larges d’épaule et plutôt lourds, et le corps assez développé offre une panoplie hétérogène de saveurs, allant des fruits noirs frais, à peine mûrs, jusqu’à une fumée persistante, en passant par la cannelle et le clou de girofle.

Le taux d’alcool reste plutôt bas, donc la bouche demeure mince et raisonnablement sèche, grâce aux tannins grognons. Et oui, on y retrouve les mêmes micro-bulles que dans son acolyte en blanc. C’est donc pour ça que tu ne voulais pas me présenter ta soeur?

Pour un palais international, le vinhão n’st pas facile à aimer, car les repères avec l’équilibre convenu d’un vin standard sont rares. C’est une tout autre proposition, c’est comme avoir des billets pour aller voir les Trois Accords, mais se retrouver plutôt à un récital de fado: les connexions sont différentes. Qui plus est, il est servi un tantinet frais pour le corps qu’il possède: la plupart des producteurs suggèrent de déguster le vinhão entre 14 et 16 degrés Celsius, et dès la première gorgée, on est presque reconnaissant de voir que les particularités si intenses de ce vin, si bipolaires, sont engourdies par la fraîcheur. Et pourtant, on se prend à se demander jusqu’où ce petit vin portugais traditionnel pourrait aller…

En vérité, très peu de producteurs veulent vraiment savoir comment le vinhão peut se comporter. Vasco Croft, du domaine Aphros, le travaille en biodynamie et dans un style tout en retenue, sauf si l’on parle de l’effervescent de méthode traditionnelle Yakkos, qui passe quatre ans sur lattes, ce qui donne un vin mousseux d’un rouge intense qui vous fera oublier tous les préjugés que le Shiraz effervescent avait laissé dans votre esprit; puis il y a la Quinta das Arcas, qui donne au raisin un petit coup de pied de chêne, histoire d’en faire un vin différent et capable d’évoluer dans le temps. Sinon, cent fois sur le métier, vous aurez droit à ce vin acidulé et trapu dont je parlais plus tôt.

Quand les défenseurs du style classique du vinhão se font demander ce qu’ild pourraient faire pour le rendre plus accessible au palais international, ils donnent l’une de ces deux réponses: les purs et durs vous diront qu’il n’y a aucune raison de faire du vinhão quelque chose de différent, et les autres qui suggèrent, pendant que leur attitude corporelle dut le contraire, qu’ils font des expériences avec le cépage, pour voir comment il pourrait s’adapter au goût global. Puis, quand vous leur parlez cinq ans plus tard, rien n’a changé: ils élaborent toujours le vinhão à leur manière.

Source: ogarfelo.blogspot.com

Source: ogarfelo.blogspot.com

Et pourquoi pas? Le vinhão bénéficie d’une niche régionale, voire patriotique, et il fait bon accord, dit-on avec certains plats du patrimoine du Minho. Tous, producteurs et amants du vinhão confondus, partageront leur histoire de repas familiaux ou ce vin sombre a été servi litre après litre avec un arroz de cabidela, une espèce de risotto au sang. Il vous faudra par contre les croire sur parole quant à la qualité de l’accord, car ils n’ont pas non plus tendance à sortir ce plat du fourneau quand des visiteurs étrangers sont en ville. SInon, on vous donnera la recette familiale d’une soupe assez unique, la sopa de cavalo cansado, verbatim la soupe du cheval fatigué: un bol rempli de vinhão, avec des morceaux de pain imbibés dans le vin, ainsi que des oeufs et du miel. Les plus aventureux d’entre nous se laisseront sans doute tenter par un bol de cette soupe inductrice de courage, mais les autres passeront, se disant qu’il ne leur appartient peut-être pas, au bout du comte, de comprendre le vinhão. L’horreur! Il est cependant vrai que le vinhão mérite qu’on s’y attarde, de même que le mériterait le vilain petit canard, car il mettra votre tache olfactive et vos papilles au défi, les amenant dans des zones jusque là inexplorées.

Mais voilà, c’est ainsi que le vin est présenté par ses producteurs: pas même comme un goût qui s’acquiert, mais quasi comme une proposition difficile, quelque chose qui détourne beaucoup trop d’attention du « vrai » vinho verde blanc, celui que l’on veut vous voir fiancer. Ma théorie est tout autre: il se pourrait qu’ils aiment trop l’odeur du vinhão au matin, et qu’ils ne veulent simplement pas partager.

swordfou

Merci au CVRVV pour avoir organisé ce voyage de presse dans la région du Vinho Verde.

Il ne suffit plus de pleurer

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Source: cahnrs.wsu.edu
Source: cahnrs.wsu.edu

Depuis 2012, les épisodes se suivent et, hélas, se ressemblent. Sortie de nulle part, sinon des radars qui la voient venir et des modèles météorologiques qui peuvent la prédire, la grêle tombe, par douilles, par balles et par ogives, sur les vignobles de la France. L’image à gauche vous montre des vignes dont le feuillage, essentiel à la photosynthèse, a été à toutes fins utiles réduit à néant par un épisode de grêle. Cette vigne, incapable de produire les sucres nécessaires à sa survie, ne produira rien. L’écorce de son tronc, de ses tiges, lacérée par ces projectiles, s’ouvre aux infections et rend la plante vulnérable.

Certains plants agoniseront. Pour les plus gros producteurs, c’est difficile, certes, mais pas tant; pour les petits, ça veut dire parfois qu’il n’y a pas de récolte cette année-là, et parfois la suivante, si la vigne a vraiment mangé une volée. Ça peut même vouloir dire la banqueroute. Vendre la terre familiale et décrisser.

Pour le consommateur, ça veut souvent dire une envolée des prix pour un vin qui ne sera pas moins bon, mais certainement pas meilleur non plus. Un mélange doux-amer de compassion et de c’est-encore-moi-qui-paie-tabarnanne s’installe dans l’esprit de l’amateur de vins. En 2016, la grêle se paie un party assez salé et dévastateur. Du moins, l’oeil des médias qui suivent le vin nous rend cette image.

Et les médias sociaux sont particulièrement traîtres pour ça: le vigneron lambda filme les quelques secondes -quelques minutes si la guigne l’a choisi- de grêle qui s’abat sur ses terres. Il met le tout en ligne et voilà. Ou l’autre attend que la tempête passe et va plutôt filmer les dégâts. Deux vignerons différents rapportent les événements, puis soudain un troisième, et là, dans nos esprits, c’est toute la Bourgogne qui est à feu et à sang.

Mais est-ce vraiment le cas? Cette année, on peut dire que oui, une importante partie du vignoble bourguignon est affectée par les aléas météo. Plusieurs averses de grêle, chacune plus ou moins localisée, ont ravagé les vignes et oblitéré l’espoir d’une vendange normale. Les prix, inévitablement, vont monter. C’est une fois de plus, la cata complète sur les vignobles français. Mais d’autres années, les cas étaient isolés, san pour autant dire qu’ils n’étaient pas méritoires de notre sympathie.

Alors pourquoi j’arrive toujours pas à brailler?

BFRA

Je sais, je choque. Mais je n’y arrive pas. Ok, je suis peut-être un peu consterné. Mais pas trop. Pourquoi?

Je vais essayer de vous expliquer.

Depuis 2014, à l’initiative du BIVB et de quelques vignerons qui en avaient plein de cul de la grêle, une demande a été déposée auprès de l’INOQ (l’ancien INAO), afin de tester l’utilisation de filets anti-grêle pour protéger les vignes contre une attaque venue du ciel. En effet, il était apparu clair que les canons anti-grêle ne donnaient rien et que les dommages causés par la grêle étaient tout aussi grands même avec cette soi-disant protection (qui exploite, si vous vous le demandez, le principe de l’onde de choc suivant une détonation pour briser les grêlons en plus petites particules moins dommageables).

Donc, l’idée, c’est de tester ce qui se fait ailleurs déjà, comme en Argentine, à Mendoza où le grêle est presque aussi certaine que la mort et les taxes, et de mettre des filets au-dessus des vignes. Or, à l’INOQ, on a un souci par-rapport à cela: celui du goût du vin. On s’inquiète de voir l’ensoleillement de la vigne diminué par les filets, et par conséquent sa capacité à faire de la photosynthèse, et donc à faire sa job de vigne correctement. Les vignerons, de leur côté (du moins, certains) sont inquiets du coût des filets, qui fluctue grandement selon la source: entre 15000 et 30000 euros l’hectare.

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Or voilà, afin de s’assurer que le processus n’altère pas le goût du vin significativement (chose déjà prouvée par les Argentins, je dis ça comme ça), on se donne trois ans pendant lesquels les filets seront testés. Après, on verra. Mais là, partez pas trop vite chercher votre abaque! Le projet a eu l’aval de l’INOQ l’an dernier, alors il est dans sa deuxième année. Il reste un an. Un an pendant lequel une poignée de vignerons auront des ti-nets sur leurs vignes, et d’autres, caméra à la main, regarderont leur pain et leur beurre être indubitablement anéanti par la Nature.

Trois longues années pendant lesquelles la grêle continue de tomber. Trois longues années qui verront des vignerons perdre des générations de labeur.

Cécile Mathiaud, du BIVB, disait il y a deux ans dans une entrevue pour Decanter que les choses pourraient bouger vite si tout le monde se met d’accord. Or, nous voici en 2016, une année particulièrement dévastatrice en termes de grêle. La solution existe, est utilisée efficacement par un autre pays viticole fort respectable, et du côté de la Bourgogne, on préfère tester, parce que là-haut, le soleil est si précieux (l’Argentine en reçoit pas beaucoup plus, figurez-vous), ça ne veut pas dire que ce qui fonctionne ailleurs fonctionne ici et gnagnagna.

Personnellement, je trouve l’urgence assez grande pour dire que l’INOQ devrait pendant un moment cesser d’être l’INOQ et admettre que la solution est essentielle et que son application doit être immédiate. Si demain, les vignes de Rousseau, de Leroy, de la DRC -Dieu nous en préserve- étaient mises à mal par les lois de la Nature, ça ferait la file au Home Depot de Nuits-Saint-Georges pour acheter du clisse de net. Je vous en donne ma parole. Trente mille Euros l’hectare ou pas.

poup

Est-ce à l’encontre de l’admission des climats de Bourgogne à l’UNESCO? Ou plutôt en contradiction avec une philosophie millénaire du à-la-grâce-de-Dieu? Et là, je ne tape que sur le clou de la Bourgogne… On fait quoi en Champagne? À Chablis? À Cognac? On regarde la peinture sécher, peut-être? Amis Français, il ne suffit plus de pleurer, il faut agir, car le jour où nous vous organiserons un téléthon n’est pas venu.

De tout façon, c’est nous qui allons finir par payer pour vos filets.

swordfou

C’est quoi, une coop?

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« Stronzo di merda!!! »

Umberto fulminait, alors que la voiturette de golf qu’il opérait cahotait entre les cuves et les barriques. Le stylo qu’il avait dans sa poche de chemise, à chaque bosse, venait heurter son mamelon proéminent, le blessant davantage toutes les fois. Umberto était l’homme de la planète le plus près de comprendre les douleurs de l’allaitement. Il engourdissait sa douleur en regardant l’image de Gina Lollobrigida qui pendait sur le rétroviseur de fortune qu’ils avaient traficoté sur la voiturette. Malheureusement, à chaque bosse, les seins de Gina refusaient de bouger. Umberto n’en laissait pas moins voguer son imagination, sauf en cet instant présent, où la force de sa pensée lui plaçait plutôt les mains autour du cou de Firmin, le Provençal, l’immigrant français qu’il avait mis en charge de la réception des raisins.

Firmin l’avait appelé sur le récepteur walkie-talkie, en lui demandant de venir voir tout de suite, que c’était urgent… Ça n’augurait jamais bien, un appel de la sorte: ça voulait probablement dire que les raisins étaient pourris, ou qu’un fournisseur avait encore mélangé les variétés, ou que les grappes n’étaient pas arrivés à maturité suffisante… Gérer une coop vinicole n’est pas de tout repos, surtout quand on fixe le prix en rapport au poids des raisins fournis. Il est rare que la qualité soit au rendez vous.

Source: klwines.com
Source: klwines.com
Source: indianwineacademy.com
Source: indianwineacademy.com
Source: jaynesgastropub.wordpress.com
Source: jaynesgastropub.wordpress.com

Dans sa tête, Umberto se mit à faire des paris avec lui-même… 1000 lires que c’est pas le bon putain de trebbiano… Ou qu’il ont passerillé dans le camion, parce que le con de chauffeur s’est arrêté à la cantine en chemin…

Umberto avait beau spéculer, il était rare qu’à chaque occasion, ce soit la même chose qui arrive, ou qu’un phénomène se répète… Il passait à travers les probabilités davantage pour se rassurer que pour vraiment prédire. Il savait que chaque nouvel appel d’urgence de Firmin repoussait les limites de sa tolérance. Mais il était loin de se douter de ce qui l’attendait…

Firmin était plus pâle que jamais, et il avait déjà sa casquette à la main, prêt pour la contrition. Umberto était vraiment inquiet,cette fois, et il ne se priva pas de laisser cette angoisse déferler sur son subalterne:

« Qu’est-ce que t’as accepté, cette fois, bougre de con? Des airelles? »

« Non, Monsieur, répondit Firmin, ce sont bien des raisins… Et ils sont beaux… »

« Mais alors, pourquoi tu me déranges dans mon travail? », demanda Umberto, dont le travail consistait réellement à voir le baby-doll de la Gina Lollobrigida imprimée sur sa tasse de café s’évanouir sous la chaleur du breuvage qu’il y avait versé.

« Venez voir par vous-même, Monsieur… », répondit Firmin. Et Umberto le suivit vers la chute à raisins. La chute à raisins était située juste à la fin d’un promontoire où les camions reculaient pour s’installer sur la balance. Une fois bien en place, on mesurait leur poids avec la cargaison. Une fois la mesure prise, ils avaient la permission de vider la benne de leur camion dans la chute, auquel moment on pouvait reprendre le poids du camion, et payer le conducteur à la différence de poids. Pur et simple, enfin quand vos partenaires d’affaires la jouaient honnête, ce qui était de moins en moins le cas…

Arrivé à la pile de raisins, Umberto ne put qu’acquiescer: ils étaient en effet très beau. Mûrs, mats de la pruine velue et vivante qui les couvrait, d’un splendide noir bleuté. C’était là parmi les plus beaux raisins de sangiovese qu’il avait reçus… Il se tourna vers Firmin, qui avait toujours l’air d’un môme qui avait perdu sa mère.

« Et alors, Firmin, tu m’as fait venir ici pour qu’on pleure ensemble sur tant de beauté? » Umberto ne cache pas son impatience dans son ton. C’est alors que Firmin, dans son italien chantant de cigale, demande à l’un des employés de déplacer certaines grappes. L’employé de ne fit pas prier, lui-même l’air grave. Il prit une pelle et se dirigea vers la pile. Umberto fit ses recommandations, en beau père d’entreprise: « Hé, ho! Attention avec cette pelle! Ce sont de beaux raisins, tout de même! » L’employé se tourna vers Firmin, qui lui fit signe de continuer.

Il suffit de deux ou trois pelletées pour révéler à Umberto quel était le véritable problème: au milieu du tas de grappes de sangiovese se trouvait un baril de métal, du genre de ceux servant à transporter de l’huile. Il était noir et un brin rouillé à l’extérieur. Umberto, à son tour, pâlit.

Source: barbaresco.com
Source: barbaresco.com

« Mais enlevez-moi ça de là, bande de nuls! C’est probablement tout pourri d’huile, ce truc! »

« On a essayé, Monsieur », répondit Firmin. « Rien à faire. »

« Mais pourquoi? »

« Le sable, Monsieur. »

« Mais quel sable? De quoi parles-tu? »

Firmin fit de nouveau signe à l’homme de main, qui se pencha vers l’ouverture du baril qu’Umberto ne pouvait pas voir de sa position. Il y enfonça la pelle, puis en ressortit une belle pelletée de sable, blond et pur. Le chauffeur avait trompé le système de poids en mettant ce baril au milieu d’une livraison moindre. Au poids, les gars n’y avaient vu que du feu. Il y avait sûrement eu un son tonitruant quand le baril avait heurté le fond de la chute, mais il se passe tellement de choses ici, au temps des vendanges, il était bien possible que personne n’ait porté attention.

Umberto retourna derechef dans sa voiturette de golf. Il avait quelques appels à faire. Il reprit la route cahoteuse qui menait à son bureau. Gina, de ses yeux invitants, le regardait langoureusement. Mais ses seins, impassibles, demeuraient de glace.

Stronzo di merda.

***

Même si cette histoire est vraisemblablement romancée, elle est basée sur un vrai récit qui m’a été raconté. Longtemps, les coopératives vinicoles italiennes payaient leurs producteurs au poids des raisins. Ainsi, Les pires stratagèmes, dont celui du baril plein de sable, étaient utilisés pour traficoter la mesure du poids des raisins. Ceci dit, toutes les coopératives vinicoles ne fonctionnent pas ainsi; certaines sont des regroupements de vignerons qui ne font que partager l’équipement de vinification, l’espace d’élevage et les outils spécifiques à l’embouteillage, afin d’effectuer des économies d’échelle, chacun embouteillant sous sa propre étiquette; d’autres achètent les raisins de différents producteurs, mais n’affichent pas les produits sous une bannière négociante: parmi ces compagnies, les critères qui entourent la façon dont le prix est fixé varient. Comme l’histoire qui précède le montre, il fut un temps où la quantité était le seul critère.

Mais des coopératives comme Produttori del Barbaresco ont compris que, l’intérêt réel étant de faire du bon vin, il fallait encourager les producteurs à faire le meilleur raisin possible et ne pas nécessairement se soucier de rendement.

Source: sommfou.com
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Source: sommfou.com
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Quand on est payé à la qualité du raisin, il devient un peu futile de dissimuler des barils remplis de sable parmi une cargaison de grappes. Les « vrais buveurs » de chez Oenopole ont tout de suite saisi que cette coopérative était sérieuse; peu enclins à vouloir introduire des vins de coopérative au Québec, ils ont porté une attention particulière à la production de ce domaine et ils ont vite compris que Produttori faisait bande à part, et pouvait figurer au sein du porte-folio éclectique de l’agence montréalaise.

Oenopole nous avait conviés à célébrer les 35 ans de Produttori del Barbaresco en mettant sur pied une verticale fort intéressante du barbaresco d’entrée de gamme de la coopérative. Je m’en voudrais toutefois de faire croire par l’expression « entrée de gamme » que ce vin ne peut pas traverser le temps. Les millésimes dégustés prouvent hors de tout doute que même cette cuvée peut faire un bon bout de chemin; du plus récent 2012, rondouillard et déjà fort accessible, jusqu’au mystérieux 1982, austère et plein d’umami (miso, bouillon à fondue, mais pas de baril métallique rempli de sable, promis!), cette découverte du voyage évolutif du nebbiolo fût une expérience éducative fort intéressante. Merci à l’agence de l’avoir organisée.

Merci surtout de croire que toutes les coopératives ne sont pas nées égales.

swordfou

Aligote-moi

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Source: regimea.com
Source: regimea.com

Saviez-vous que le Québec est le premier marché mondial consommateur d’aligoté après la France? C’est probablement ma faute. J’adore l’aligoté. Ce côté juteux qui fait tirer la langue vers le ciel, à la recherche de la gorgée suivante, cette salinité subtile des herbes de bord de rivière, cette belle acidité vibrante et joueuse… L’aligoté, maintenant plus que jamais, sort de l’ombre du kir, dont il est l’ingrédient de base.

Alors que d’autres interprofessions ont choisi de faire le chemin inverse et de soumettre leur vin aux soins des mixologues, le BIVB, lui, profite d’une recrudescence d’intérêt pour l’aligoté en tant que tel en France, c’est-à-dire en-dehors du kir, pour tenter de consolider ce mouvement et redonner à l’aligoté sa place dans le paysage bourguignon. Le bureau s’est intéressé aux chiffres d’exportation de l’aligoté et a constaté que le Québec était sa terre d’accueil hors France. On est venu faire déguster le cépage au Québec, tout en cherchant sur quoi se basait cette popularité. En tout, une douzaine de cuvées ont été proposées, mais nous y reviendrons plus tard. Parlons d’abord de ce cépage qui est tout aussi à sa place en terres burgondes que le chardonnay ou le pinot noir.

Établissons tout de suite que l’aligoté est un cépage très réactif à son terroir, tant en termes de rendement que d’expression organoleptique. Il pourra fournir plus ou moins de raisins selon l’endroit où il pousse, tout en exprimant cet endroit de manière précise, à l’instar de son grand frère le pinot noir. Car oui, l’aligoté et le pinot noir sont parents. À tout le moins cousins, le pinot noir étant une mutation génétique du pinot, ce dernier ayant servi de parent à l’aligoté, avec le gouais blanc.

Source: plantgrape.plantnet-project.org
Source: plantgrape.plantnet-project.org

Il est alors étonnant qu’un cépage si apte, et surtout béni de se trouver sur des terres si riches en histoire et en complexité, demeure à l’ombre. Bon, vous me direz: c’est l’ombre du chardonnay et du pinot noir. Peut-être, mais le fait demeure que l’aligoté mérite amplement qu’on s’y attarde, que l’on se perde en contemplations dans ses saveurs d’acacia, de citron, de noisette et de pêche blanche, que l’on lance son nez à la quête de sa touche herbacée bien en retrait…

L’aligoté répond également bien à un élevage sous bois, pourvu, et c’est mon humble avis, qu’il soit raisonnablement dosé. Son fruit n’est pas exubérant, sans être discret, et il ne s’acoquine pas bien avec l’apport d’une barrique, particulièrement si elle est neuve. Il pourra bénéficier d’un séjour en bois usagé, voire neutre, pour gagner en structure, mais il faut faire gaffe que le bois ne contribue pas trop de saveurs qui viendront gêner le cépage dans son expression.

Source: beachpointprocessing.com
Source: beachpointprocessing.com

Mais que servir avec l’aligoté? Quelles circonstances se prêtent à sortir l’aligoté de votre cellier? Pour moi, l’aligoté est le vin de canicule par excellence. Il fait chaud pas possible? Vous avez de la sueur qui percole sous votre sein? Vous transpirez rien qu’à respirer? Il vous faut une bonne bouteille d’aligoté bien fraîche. C’est le remède par excellence pour vos coups de chaleur. La piscine s’accorde également très bien avec l’aligoté, parfois davantage que le rosé. Il s’accorde avec le homard, les bouchées de tartinades aux fruits de mer et la conversation grivoise. Les charcuteries pas trop assaisonnées, comme le jambon blanc, lui vont à ravir. Paraît aussi que les fameuses cuisses de grenouille (dites, amis français, z’en mangez encore, de la grenouille?) se marient très bien avec les charmes de l’aligoté, mais ne me prenez pas au mot, car je n’ai pas essayé l’accord et, comme il y a un bail que je n’ai pas tâté de l’appendice batracien, je ne peux dire que j’ai un véritable repère sur la question.

L’aligoté est à ce point qualitatif qu’un premier cru bourguignon, et à Morey St-Denis qui plus est, est élaboré à 100% avec le cépage aligoté En effet, le domaine Ponsot puise ses grappes d’aligoté du climat Clos des Monts Luisants. Partout ailleurs, le cépage doit se contenter, sans tort ou raison, d’une appellation bourgogne aligoté générique. Mais voilà que je vous parle d’une appellation générique comme si c’était de la merde. Nous sommes aux antipodes, frères et soeurs, car l’appellation ne fait pas le moine. Jugez-en par les notes de dégustation que voilà, à droite.

Merci à Sopexa et au BIVB pour cette occasion intime de découvrir l’aligoté. Vivement une belle journée caniculaire!

swordfou

Barbe-Bleue

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Source: pinterest.com

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« J’en ai dans ma cave… » Il tape les mots, mais hésite à les commettre à la toile, car il les sent insuffisants. Il sait trop bien que d’autres membres de ce forum viendront publier une réplique, dans laquelle ils ajouteront le nombre de bouteilles qu’ils ont consignées à leur cave. En rappelant au passage la quantité de cols des autres millésimes qu’il ont en leur possession. En rappelant qu’ils n’ont pas acheté de tel ou tel millésime, parce que c’étaient des années merdiques. En lui rappelant qu’il aurait dû écrire mieux.

Il supprime son message et le refond: « J’en ai six dans ma cave. Je compte en ouvrir une cette semaine, pour la situer vis-à-vis le millésime précédent, dont il me reste quatre exemplaires dans ma cave. Je n’ai pas osé toucher au 2007, parce que vous savez… »

Voilà qui est mieux. Il appuie sur entrée. Et respire. Et attend.

À côté de son ordi, la grosse clé dorée qui mène à sa cave. Il la caresse, pour amplifier la dose d’endorphines que ce message lui a procurée. Il résiste à l’envie de retourner dans sa cave; voilà maintenant cinq fois qu’il y est allé aujourd’hui, et il n’est pas encore midi. Il ne veut pas déséquilibrer la température et l’humidité des lieux par sa présence trop fréquente, et gâcher sa précieuse collection. Il prend son téléphone et démarre l’application qui surveille les conditions climatiques de sa cave. Douze degrés, 70% d’humidité, zéro vibrations, zéro lumière. Tout va bien. Nouvelle dose d’endorphines. Il allait rabattre l’écran de son ordinateur portable quand il se rappela soudain qu’il n’avait pas encore fait le tour de Facebook aujourd’hui. Ah là là, c’est qu’il ramollit du cerveau… Comment avait-il pu oublier?

Source: megantusing.com
Source: megantusing.com

Plus de peur que de mal… Il faut dire qu’on est un mardi, et que les lundis soirs sont pauvres en consommation de vin. Tout de même, une demie-douzaine de photos de comptes qu’il suit, des photos de quilles qu’il peut commenter… Celle-ci, ce Ganevat, il en a déjà eu en cave, il avait beaucoup aimé, il faudrait qu’il en rachète… Ce sauvignon bordelais, il se demande si la personne qui l’a publié a déjà goûté à tel autre sauvignon, qu’il a en cave… Tiens, ces bulles, on dit qu’elles ne se conservent pas bien? Pourtant il en a quelques exemplaires en cave, et il n’a jamais été déçu chaque fois qu’il en a ouvert…

Il couvre les angles, s’assure d’avoir bien commenté partout. Parfois, on lui répond, et son coeur se met à battre à tout rompre. Et s’il n’arrivait pas à bien répondre à la question? On pouvait toujours lui demander de dévoiler la quantité de flacons qu’il gardait d’un certain vin, mais de bien commenter l’expérience qu’il avait vécue en buvant ce vin? Il pouvait se débrouiller à décrire les arômes, les saveurs, les tannins, la texture, certes… Mais avait-il aimé?

Impossible à dire, car à chaque fois qu’une bouteille était ouverte, et qu’elle était bue, un vide lourd comme l’annonce d’un orage s’emparait de lui et le rendait incapable de toute appréciation au-delà de l’organoleptique. Est-ce que ce vin l’habitait? Est-ce qu’il lui faisait vivre une émotion jamais ressentie auparavant? Son problème n’était pas de trouver des mots pour décrire le ressenti, mais bien de ressentir.

Source: cfigue20.deviant art.com
Source: cfigue20.deviant art.com

De retour sur le forum précédent, pour voir si quelqu’un lui avait répondu. Tel qu’il le craignait, SuperPétrus72 avait déjà répliqué à son commentaire… Avec une interrogation qui lança des frissons électrique dans son échine: « Comment ça QUATRE flacons du millésime précédent? Me semblait que tu en avais acheté trois seulement, alors qu’on en avait tous acheté six… » Avec capture d’écran à l’appui de son commentaire de jadis, et de la joute écrite qui en avait résulté.

Les tremblements jusqu’au bout de ses doigts l’empêchent de répondre immédiatement. Dans son réflexe habituel, il passe sa main dans sa longue barbe… Laissant descendre ses phalanges dans les noeuds qui s’installent avec le temps, comme ils le font dans les écouteurs de son iPhone. Arrivé au bout des poils, il les tire vers sa bouche, pour les sucer… Dans cette mèche un Haut-Bailly 2005, ouvert bien trop jeune, mais dont il avait apprécié la concentration; dans cet autre touffe, des restes d’un Rieussec 1978, pas à tout casser, mais c’était liquoreux, alors comment ne pas aimer?

Il en avait bel et bien quatre. Il le savait. Ce qui l’étonnait, c’est que SuperPétrus72 ne sache pas pourquoi il en avait quatre. SuperPétrus72 ne se souciait pas de sa cave comme lui s’en occupait. Avec AMOUR. Il se foutait même un peu de ce qu’il avait, ce qui l’avait tenté, le jour où il avait été invité à souper chez lui… Il leur avait fait visiter sa cave. Tout le monde avait poussé des oh! et des ah! devant la grande collection de SuperPétrus72. Lui aussi, mais pour sauver les apparences. En dedans, cette visite avait commencé de le faire pourrir. Il ne parviendrait jamais à avoir une collection aussi belle que la sienne, à moins que… à moins que…

Il brisa la promesse qu’il s’était faite et retourna à la cave une sixième fois. Il se dirigea tout de suite vers ce quatrième flacon, qui existait bien. Oui, il n’en avait acheté que trois, mais il avait profité d’une visite improvisée à la salle de bain pour faire un détour à la cave de SuperPétrus72 (pas verrouillée pour deux sous, encore une preuve de son amateurisme) et subtiliser ce quatrième flacon, qu’il avait ramené chez lui.

Un crime… presque parfait. La conjointe de SuperPétrus72 l’avait surveillé à son insu. Quelques jours plus tard, elle s’était pointé chez lui, sans avertir son conjoint, pour le mettre devant les faits.

Source: michelinewalker.com
Source: michelinewalker.com
Source: mikedahhistory.com

Source: mikedahhistory.com

Il avait sué toute l’eau de son corps, en grands torrents froids. Il s’était confondu en excuses, au fur et à mesure que la panique venait à le posséder. Il avait fini par céder et à l’inviter à venir chercher le flacon subtilisé, puis à prendre quelque chose d’autre, en guise de dédommagement. Elle avait pris son temps, regardant toutes les bouteilles, une à une, voulant être sûre de prendre le flacon qui lui ferait le plus mal. Et bien sûr, comme elle connaissait le vin -probablement mieux que son con de mari, en fait-, elle avait pris la plus chère, puis lui avait fait un beau sourire en se retournant, allant même jusqu’à passer ses doigts à elle dans sa barbe.

À partir de là, il n’avait plus rien contrôlé. La clé était partie toute seule, en un automatisme, s’enfoncer dans la gorge de la pauvre. La clé avait bougé d’elle-même, allant de gauche à droite, agrandissant l’anfractuosité qu’elle y avait pratiquée. Les yeux de la pauvre avaient exprimé l’effroi puis, très peu de temps après, plus rien.

SuperPétrus72 signala la disparition de sa conjointe, qui ne fut jamais retrouvée. Faute de suspects, on ne s’inquiéta jamais de lui.

Il avait mis du temps à tout nettoyer. À changer l’air des lieux. À goûter, en sacrifice, quelques bouteilles, pour s’assurer qu’elles n’avaient pas pris le sang. Finalement, il avait gardé, en souvenir, la tête de la pauvre, l’avait préservée dans un bocal étanche, l’avait conservée à la cave.

La clé elle, comme son esprit, resterait tachée à jamais. De toute façon, elle ne le quittait pas. Ça non.

swordfou
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